Cité
du Vatican, 14 juillet 2015 (VIS). Comme d'habitude, entre Asunción
et Rome, le Saint-Père a répondu à plusieurs questions des
journalistes qui l'accompagnaient. Voici un résumé de ses propos:
Question:
Pourquoi le Paraguay n'a pas de cardinal? Quel est le péché du
Paraguay?
Réponse:
Eh bien, ne pas avoir de cardinal n'est pas un péché. La plupart
des pays dans le monde n'en ont pas. Les nationalités des cardinaux
sont une minorité... Parfois, le choix des cardinaux se fait en
étudiant des dossier, en remarquant une personnalité, un
charisme...utile pour être conseiller du Pape, pour l'aider dans le
gouvernement universel de l'Eglise. Tout en appartenant à une Eglise
particulière, le Cardinal est comme l'indique son nom incardiné
dans l'Eglise de Rome. Cela lui donne une vision universelle. Cela ne
veut pas dire qu'il n'y a pas évêques qui l'ont, au Paraguay par
exemple. Mais le nombre des Cardinaux ne peut pas dépasser 120
électeurs... Si on regarde l'Eglise du Paraguay, elle mériterait
d'avoir deux Cardinaux! C'est une Eglise vivante, active et à
l'histoire glorieuse".
Question:
Que pensez-vous du désir des boliviens d'avoir un accès souverain
au Pacifique. Si le Chili et la Bolivie le demandaient,
accepteriez-vous cette médiation?
Réponse:
La médiation est une chose très délicate, et c'est comme une
dernière étape. J'ai connu cela en Argentine avec le Chili, et cela
a empêché une guerre. La situation était limite et le Saint-Siège
l'a très bien gérée car Jean-Paul II s'y était impliqué... En ce
moment, il faut être très prudent parce que la Bolivie en a appelé
à un tribunal international. Si je fais un commentaire, comme chef
d'Etat, il pourrait être interprété et jugé une interférence ou
une pression. Je dois être très respectueux de la décision prise
par le peuple bolivien qui ont fait cet appel... Comme je l'ai
dit...les frères doivent se parler, les peuples latino-américains
doivent dialoguer pour créer une grande patrie... Je veux être
clair: Mon discours était un rappel de ce problème, mais dans le
respectant de la situation telle qu'elle est aujourd'hui. La question
étant devant un tribunal international, ne parlons pas de médiation,
attendons". Certes le désir des boliviens de modifier la
frontière a une base de justice, surtout après une guerre... Je me
souviens qu'en 1961, en première année de philosophie, j'ai vu un
documentaire sur la Bolivie. On y parlait des 10 étoiles du pays.
Après avoir présenté chacun des 9 départements, ce fut le silence
sur le dixième. Sur la mer, pas de mot".
Question:
Avant votre visite l'Equateur a été agité par des manifestations.
Des opposants revenus au pays ont défié le gouvernement dans la
rue. Il semble que votre présence en Equateur ait été utilisée
politiquement, en particulier votre phrase sur les gens qui, en
Equateur ont résisté avec dignité. Qu'en pensez-vous?
Réponse:
''Bien sûr, je savais qu'il y avait des problèmes politiques et des
grèves... Je ne connais pas les détails de la politique de
l'Equateur et il serait stupide de ma part de donner un avis. On m'a
dit qu'il y a eu une trève lors de ma visite... C'est le geste d'un
peuple debout, respectueux de la visite du Pape... En ce qui concerne
la phrase en question, j'ai voulu évoquer la prise de conscience du
peuple équatorien, notamment face au récent conflit frontalier avec
le Pérou. Il existe une plus grande prise de conscience de la
diversité des richesses ethniques de l'Equateur, ce qui accroît la
dignité des gens. L'Equateur n'est pas un pays de rebut... Après la
guerre de frontière, les équatoriens sont devenus plus conscients
de leur dignité et de la richesse de l'unité dans la variété. Je
veux dire que ma phrase ne peut être attribuée à une situation
particulière. Une phrase peut être instrumentalisée, c'est
pourquoi il fait être très prudent".
Question:
Dans votre discours en Bolivie aux Mouvements populaires, vous avez
parlé de l'idolâtrie de l'argent qui domine l'économie et impose
des politiques d'austérité qui pénalisent les plus pauvres.
Aujourd'hui la Grèce risque de perdre l'Euro. Que pensez-vous de la
Grèce et de l'Europe plus généralement?
Réponse:
Je suis proche de cette réalité, car il s'agit d'un phénomène qui
existe dans le monde entier. Même dans l'Est européen, aux
Philippines, en Inde, en Thaïlande. Ce sont des mouvements qui sont
liés...et qui protestent pour aller de l'avant et être en mesure de
mieux vivre. Ces mouvements intéressent beaucoup de gens qui ne se
sentent pas représentés par les syndicats, parce qu'ils disent que
les syndicats ne se battent plus pour les droits des plus pauvres. A
cela l'Eglise ne peut être indifférent. La doctrine sociale de
l'Eglise implique un dialogue avec ce mouvement, et le dialogue
fonctionne bien. Vous avez vu l'enthousiasme de sentir la présence
de l'Eglise, qui dispose d'une doctrine capable d'aider à lutter et
dialoguer. L'Eglise ne doit faire le choix de l'anarchiste et de la
rue. Non, ces mouvements populaires ne sont pas anarchistes. Ils
travaillent, ils essaient de transformer ces déchets sociaux en
véritables travailleurs... Quant à la Grèce et au système
international, je n'y comprends pas grand chose...mais certainement
il serait trop facile de dire que la faute est seulement de cette
partie... J'espère qu'on trouvera un moyen de résoudre le problème
grec mais aussi d'aider d'autres pays à ne pas tomber dans le même
problème... On m'a dit qu'il y avait un projet des Nations-Unies...
pour éviter à un pays de se déclarer en faillite... Mais je ne
peux rien dire de plus. Ensuite, en ce qui concerne les nouvelles
formes de colonisation, évidemment tous aller sur des valeurs. La
colonisation se fait déjà par la consommation. L'habitude de
consommer a été un processus de colonisation car elle amène à une
attitude qui ne nous appartient et finit par déséquilibrer la vie.
Le consumérisme déséquilibre également l'économie nationale et
la justice sociale, et aussi la santé physique et mentale, juste
pour donner un exemple".
Question:
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez vu le marteau et la faucille
avec le Christ, offert par le Président Morales?
Réponse:
Je ne savais même pas que le Père Espinal était aussi un sculpteur
et poète...Pour moi ce fut une surprise". Ce crucifix "peut
être décrit comme un genre d'art de protestation. Par exemple, à
Buenos Aires il ya quelques années a été faite d'une exposition
d'un sculpteur...qui avait l'art de la protestation... Il avait
réalisé un crucifié dans un bombardier en train de tomber. C'était
un critique du christianisme, allié de l'impérialisme symbolisé
par le bombardier... Dans certains cas, cet art peut être offensant
pour certains. Dans ce cas, le Père Espinal a été tué en 1980, à
l'époque où théologie de la libération" envisageait
l'analyse marxiste de la réalité... La même année, le Général
de la Compagnie de Jésus, le Père Arrupe, avait publié une lettre
sur l'analyse marxiste de la réalité société selon la théologie.
Et quatre ans plus tard, la Congrégation pour la doctrine de la foi
a publié sa première déclaration critique sur la théologie de la
libération... Le Père Espinal était un passionné de cette analyse
marxiste mais aussi de théologie confrontée au marxisme. De cela
est venu son travail artistique. Ses poèmes aussi sont une sorte de
protestation. C'était sa vie, sa pensée. Il était un homme
spécial, avec un grand génie, qui s'est battu en toute bonne foi...
Cet objet, je l'ai pris avec moi...tandis que j'ai laissé les deux
décorations que le président Morales a voulu me décerner, l'un est
le plus important de la Bolivie, l'autre est su nom du Père
Espinal... J'ai pensé que si je les ramenais au Vatican...personne
ne les verraient. J'ai donc pensé qu'il était juste de les laisser
à la Vierge de Copacabana, la Mère de la Bolivie."
Question:
Au cours de la messe à Guayaquil vous avez dit que le Synode doit
mûrir un véritable discernement pour trouver des solutions
concrètes aux difficultés des familles. Et puis vous avez demandé
aux gens de prier pour que Dieu transforme même ce qui nous semble
impur, nous scandalise ou nous effraye... Quelles sont les situations
impures, épouvantables ou choquantes auxquelles vous avez fait
allusion?
Réponse:
Encore une fois, je vais à l'herméneutique du texte. Je parlais ldu
miracle du vin aux noces de Cana, en disant que les amphores étaient
pleines d'eau, mais pour la purification. Cela signifie que chaque
personne qui achève sa vie fait sa purification et laissé sa crasse
spirituelle. Il existe un rite de purification avant d'entrer dans
une maison, ou même dans le temple. Un rituel que nous avons
maintenant dans l'eau bénite. Jésus fait le meilleur vin avec de
l'eau ou de la saleté... En l'occurrence, la famille est en crise,
nous le savons tous... Pour tout cela, j'ai parle en général. Le
Seigneur nous purifier de ces crises, de tant de choses qui sont
décrites dans l'Instrumentum Laboris... Je n'y ai pensé à rien de
particulier".
Question:
Nous avons vu comment s'est bien passée la médiation entre Cuba et
les Etats-Unis. Pensez que vous pourriez faire quelque chose de
similaire dans d'autres situations difficiles du continent
latino-américain, au Venezuela ou en Colombie?
Réponse:
Le processus de rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis n'a pas
été une médiation. Cela n'a pas eu le caractère d'une médiation.
Il y avait un désir et les parties y sont parvenues... Et puis, en
vérité, j'ai seulement prié trois mois...alors que cela dure
depuis cinquante ans. Le Seigneur m'a fait penser au Cardinal qui
était allé parler de cela avec mon Secrétaire d'Etat...qui n'est
pas allé aux discussions... Il n'y a pas eu de médiation, mais la
bonne volonté des deux pays. Le mérite est le leur... et nous avons
presque rien fait. Seulement à la mi-décembre...je me suis inquiété
du risque d'échec du processus de paix en Colombie... Je souhaite
que ce processus aille de l'avant et, dans ce sens, nous sommes
toujours prêts à aider de quelque manière. Ce serait une mauvaise
chose que ne plus aller de l'avant. Au Venezuela, les évêques
travaillent à favoriser la paix interne, mais il n'y a pas non plus
de médiation".
Maintenant
que Cuba aura un plus grand rôle dans la communauté internationale,
les droits humains seront-ils respectés comme dans tout pays: "Je
dirai que dans de nombreux pays du monde on ne respecte pas les
droits humains... Les Etats-Unis et Cuba ont tous deux à gagner
quelque chose et à perdre quelque chose à négocier... Mais ce
qu'ils vont gagner ensemble c'est la paix, la réunion, l'amitié, la
coopération... Revenant sur les droits humains et la liberté
religieuse, pensez-vous que partout dans le monde, y compris dans
certains pays d'Europe, cette liberté est respectée? Il y a tant de
pays où on ne vous permet pas de porter un signe religieux".
Question:
Vos propos ne semblaient pas être de messages pour la classe
moyenne, pour les gens qui travaillent, qui paient des impôts, les
gens normaux. Alors pourquoi, dans l'enseignement du Saint-Père, il
y a si peu de plae pour cette classe moyenne?
Réponse:
Vous avez raison, il y a eu erreur de ma part. Le monde est polarisé
et la classe moyenne devenue plus petite. La polarisation entre
riches et pauvres est grande, cela est vrai, et c'est peut-être ce
qui me conduit à négliger certains. Je parle pour le monde en
général et non pour les pays qui vont très bien... De par le le
monde, le nombre de pauvres est grand. Quant à la classe moyenne..
elle revêt une grande valeur. Certes, je dois approfondir dans le
magistère dans ce domaine".
Question:
Quel est le message que vous avez voulu donner à l'Eglise en
Amérique latine? Quel rôle l'Eglise peut elle jouer pour être un
signe dans le monde?
Réponse:
L'Eglise latino-américaine a une grande richesse. C'est une Eglise
jeune...avec une certaine fraîcheur, et même avec un certain non
conformisme. Elle dispose également d'une théologie riche, une
théologie en recherche. Je voulais donner du courage à cette jeune
Eglise, et je crois que l'Eglise peut donner beaucoup. Je dis une
chose qui m'a tellement impressionné: Dans les trois pays...j'ai vu
beaucoup d'enfants, de familles... Un peuple qui est Eglise, c'est
une leçon pour nous tous, pour l'Europe, où la natalité décline
et où il y a peu de politiques pour aider les familles nombreuses.
Je pense que la France a une bonne politique pour aider les
familles...tandis que d'autres sont proches de zéro, mais pas
tous... La richesse de cette Eglise est qu'elle est vivace. Je crois
que nous devons apprendre de cela... Je dois tant d'enfants déchets,
mis au rebut, et tant de personnes âgées, avec un manque d'emplois
qui rejette la jeunesse. Pour cela, les peuples jeunes nous donnent
plus de force. Pour l'Eglise, je dirais qu'une jeune Eglise, qui a de
nombreux problèmes, porte un message. Je ne crains pas pour cette
jeunesse ni pour la fraîcheur de cette Eglise...même si elle est
quelque peu indisciplinée. Avec le temps, elle nous donnera beaucoup
de bien".