Cité
du Vatican, 22 septembre 2015 (VIS). Hier après la récitation des
vêpres, le Pape s'est rendu au centre d'études Père Félix Varela,
adjacent à la cathédrale, pour y rencontrer les jeunes de Cuba. Le
centre est consacré au Serviteur de Dieu Félix Varela (1788 –
1853), considéré comme le maître des maîtres cubains. Ce prêtre,
dont la cause de béatification est en cours, après avoir enseigné
dix ans au Collège du Séminaire St.Charles, contribuant au progrès
des sciences et des lettres sur l'île, fut élu en 1821 représentant
de Cuba dans les cours espagnoles, où il réclama la liberté pour
les esclaves nègres. En 1823, après la restauration absolutiste de
Fernand VII, il part aux Etats-Unis où il proclame le droit de Cuba
à l'indépendance et pendant trente ans exerce son ministère
pastoral, fondant des écoles, construisant des églises et
évangélisant les marginaux. Le centre qui lui est dédié est un
institut laic, en fonction depuis 2011, que coordonne le Conseil
pontifical de la culture. Il comprend un centre d'études
ecclésiastiques, où sont aussi donnés des cours de philosophie,
psychologie et un master dénommé Cuba-Entreprend dont la finalité
est d'aider les initiatives entrepreneuriales privées qui tendent au
changement de la politique économique du pays. Ce centre est aussi
le siège de concerts, conférences, etc et patronne le Festival du
cinéma latino-américain. Le Pape a dit sa joie d'être avec les
jeunes dans ce centre si important dans l'histoire de Cuba, et après
avoir reçu les salutations de quelques jeunes, il leur a remis le
discours qu'il leur avait préparé:
"Quand
je vous vois, la première chose qui me vient à l’esprit et au
cœur, c’est le mot espérance. Je ne peux pas concevoir un jeune
qui ne bouge pas, qui est paralysé, qui n’a pas de rêves ni
d’idéaux, qui n’aspire pas à quelque chose de plus. Mais,
quelle est l’espérance d’un jeune cubain à cette époque de
l’histoire? Ni plus ni moins que l’espérance d’un jeune de
n’importe quelle autre partie du monde. Car l’espérance nous
parle d’une réalité qui est enracinée au plus profond de l’être
humain, indépendamment des circonstances concrètes et des
conditionnements historiques dans lesquels il vit. Elle nous parle
d’une soif, d’une aspiration, d’un désir de plénitude, de vie
réussie, d’une volonté de toucher ce qui est grand, ce qui
remplit le cœur et élève l’esprit vers les grandes choses, comme
la vérité, la bonté et la beauté, la justice et l’amour.
Toutefois, cela comporte un risque. Cela demande d’être disposé à
ne pas se laisser séduire par ce qui est passager et caduc, par de
fausses promesses de bonheur vide, de plaisir immédiat et égoïste,
d’une vie médiocre, centrée sur soi-même, et qui laisse derrière
soi uniquement tristesse et amertume dans le cœur. Non, l’espérance
est audace, elle sait regarder au-delà du confort personnel, des
petites sécurités et des compensations qui rétrécissent
l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie
plus belle et plus digne. Je demanderais à chacun d’entre vous:
qu’est-ce qui donne de l’élan à ta vie? Qu’il y a-t-il dans
ton cœur, en quoi consistent tes aspirations? Es-tu disposé à
toujours prendre des risques pour quelque chose de plus grand?
Peut-être me diriez-vous: Oui, Père, l’attrait de ces idéaux est
grand. Je sens leur appel, leur beauté, la splendeur de leur lumière
dans mon âme. Mais, en même temps, la réalité de ma faiblesse et
de mes forces limitées est trop forte pour que je me décide à
parcourir le chemin de l’espérance. L’objectif est très haut et
mes forces sont limitées. Mieux vaut me contenter de peu, de choses
peut-être moins grandes mais plus réalistes, plus à la portée de
mes possibilités’. Je comprends cette réaction, il est normal de
sentir le poids de ce qui est ardu et difficile, toutefois, attention
à ne pas tomber dans la tentation de la désillusion, qui paralyse
l’intelligence et la volonté, et à ne pas nous laisser gagner par
la résignation, qui est un pessimisme radical face à toute
possibilité d’atteindre ce dont on a rêvé. Ces attitudes, en fin
de compte, finissent ou bien en une fuite de la réalité vers des
paradis artificiels ou bien dans l’enfermement dans l’égoïsme
personnel, dans une espèce de cynisme, qui ne veut pas écouter le
cri de la justice, de la vérité et de l’humanité qui se lève
autour de nous et en nous".
"Mais
que faire? Comment trouver des chemins d’espérance dans la
situation dans laquelle nous vivons? Que faire pour que ces rêves de
plénitude, de vie authentique, de justice et de vérité soient une
réalité dans notre vie personnelle, dans notre pays et dans le
monde? Je pense qu’il y a trois idées qui peuvent être utiles
pour maintenir vivante l’espérance. L’espérance, un chemin fait
de mémoire et de discernement. L’espérance est la vertu de celui
qui est en chemin et se dirige vers une destination. Elle n’est
pas, par conséquent, le simple fait de marcher pour le plaisir de
marcher, mais a plutôt une finalité, un but, qui donne sens et
illumine le sentier. En même temps, l’espérance s’alimente de
la mémoire, elle embrasse de son regard non seulement l’avenir
mais aussi le passé et le présent. Pour marcher dans la vie, en
plus de savoir où nous voulons aller, il est important de savoir
aussi qui nous sommes et d’où nous venons. Une personne ou un
peuple qui n’a pas de mémoire et efface son passé court le risque
de perdre son identité et de ruiner son avenir. On a besoin, par
conséquent, de la mémoire de ce que nous sommes, de ce qui
constitue notre patrimoine spirituel et moral. Je crois que c’est
cela l’expérience et l’enseignement de ce grand Cubain que fut
le Père Félix Varela. Et on a besoin aussi du discernement, parce
qu’il est essentiel de s’ouvrir à la réalité et de savoir la
lire sans peurs ni préjugés. Les lectures partielles et
idéologiques ne servent à rien, elles déforment la réalité pour
la faire entrer dans nos petits schémas préconçus, en provoquant
toujours désillusion et désespoir. Discernement et mémoire, parce
que le discernement n’est pas aveugle, mais se réalise sur la base
de solides critères éthiques, moraux, qui aident à discerner ce
qui est bon et juste".
"L’espérance,
un chemin d’accompagnement. Un proverbe africain dit: ‘Si tu veux
aller vite, sois seul; si tu veux aller loin, sois accompagné’.
L’isolement ou l’enfermement sur soi-même ne génèrent jamais
l’espérance. Au contraire, la proximité et la rencontre avec
l’autre, oui. Seuls, nous n’arrivons nulle part. Avec
l’exclusion, on ne construit non plus un avenir pour personne, même
pas pour soi-même. Un chemin d’espérance requiert une culture de
la rencontre, du dialogue, qui surmonte les oppositions et
l’affrontement stérile. Pour cela, il est fondamental de prendre
en compte les différences dans la manière de penser, non comme un
risque, mais comme une richesse et un facteur de croissance. Le monde
a besoin de cette culture de la rencontre, il a besoin de jeunes qui
veulent se connaître, qui veulent s’aimer, qui veulent cheminer
ensemble et construire un pays comme en rêvait José Martí: Avec
tous et pour le bien de tous.
L’espérance,
un chemin solidaire. La culture de la rencontre doit conduire
naturellement à une culture de la solidarité. J’apprécie
beaucoup ce qu’a dit Leonardo au début lorsqu’il a parlé de la
solidarité comme force qui aide à surmonter tout obstacle.
Effectivement, s’il n’y a pas de solidarité, il n’y a d’avenir
pour aucun pays. Au-dessus de toute considération ou intérêt, doit
se trouver la préoccupation concrète et réelle pour l’être
humain, qui peut être mon ami, mon compagnon ou bien aussi quelqu’un
qui pense différemment, qui a ses idées, mais qui est autant être
humain, autant cubain que moi-même. La simple tolérance ne suffit
pas, il faut aller au-delà et passer d’une attitude craintive et
défensive à une attitude d’accueil, de collaboration, de service
concret et d’aide efficace. N’ayez pas peur de la solidarité, du
service, de donner la main à l’autre pour que personne ne soit
laissé de côté en chemin. Ce chemin de la vie est illuminé par
une espérance plus élevée: celle qui nous vient de la foi en
Christ. Il s’est fait notre compagnon de route, et non seulement il
nous encourage mais aussi il nous accompagne, il est à nos côtés
et nous tend sa main d’ami. Lui, le Fils de Dieu, a voulu se faire
l’un de nous, pour parcourir aussi notre chemin. La foi en sa
présence, son amour et son amitié allument et illuminent toutes nos
espérances et aspirations. Avec lui, nous apprenons à discerner la
réalité, à vivre la rencontre, à servir les autres et à marcher
dans la solidarité. Chers jeunes cubains, si dieu lui-même est
entré dans notre histoire et s'est fait homme en Jésus, s'il a pris
sur lui notre faiblesse et notre péché, n'ayons pas peur de
l'espérance, n'ayons pas peur de l'avenir, parce que Dieu compte sur
nous, croit en nous, espère en nous. Chers amis, merci pour cette
rencontre. Que l'espérance dans le Christ, votre ami, vous guide
toujours dans votre vie. Et, s'il vous plaît, n'oubliez pas de prier
pour moi. Que le Seigneur vous bénisse".
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