Cité
du Vatican, 8 avril 2015
(VIS). A 9 h 30' en la Basilique vaticane, le Pape a présidé la
messe chrismale, liturgie célébrée le jeudi saint dans toutes les
églises cathédrales. Les cardinaux, les évêques et les prêtres
diocésains et religieux présents à Rome ont concélébré avec le
Saint-Père. Au cours de la célébration eucharistique, les prêtres
ont renouvelé les promesses faites lors de leur ordination puis
l'huile pour les malades, les catéchumènes et le saint chrême ont
été béni. Voici l'homélie prononcée par le Saint-Père: "Ma
main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage.
C’est ainsi que pense le Seigneur quand il dit en lui-même:
J’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile
sainte. C’est ainsi que pense notre Père chaque fois qu’il
trouve un prêtre. Et il ajoute encore: Mon amour et ma fidélité
sont avec lui, il me dira: Tu es mon Père mon Dieu, mon roc et mon
salut. Il est très beau d’entrer, avec le psalmiste, dans ce
monologue de notre Dieu. Il parle de nous, ses prêtres, ses curés,
mais en réalité ce n’est pas un monologue, il ne parle pas seul.
C’est le Père qui dit à Jésus: Tes amis, ceux qui t’aiment,
pourront me dire de manière spéciale: tu es mon Père. Et si le
Seigneur pense et se préoccupe tant de la manière dont il pourra
nous aider, c’est parce qu’il sait que la charge d’oindre le
peuple fidèle n’est pas facile, elle est dure. Elle nous conduit à
la fatigue et à la lassitude. Nous en faisons
l’expérience de multiples manières, de la fatigue habituelle du
travail apostolique quotidien, à celle de la maladie et de la mort,
y compris dans le fait de se consumer dans le martyre. La fatigue des
prêtres! Savez-vous combien de fois je pense à cela, à la fatigue
de vous tous? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand
moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au
milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour
beaucoup, en des lieux très abandonnés et dangereux. Notre
fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte
silencieusement vers le ciel. Notre fatigue va droit au cœur du
Père. Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend compte de cette
fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère,
elle sait comprendre quand ses fils sont fatigués et elle ne pense à
rien d’autre. Elle nous dira toujours, lorsque nous venons à elle:
Bienvenue! repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas
là, moi qui suis ta Mère? Et elle dira à son
Fils, comme à Cana: Ils n’ont plus de vin".
Il
arrive aussi, a poursuivi le Pape, "que lorsque nous ressentons
le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer
de n’importe quelle manière, comme si le repos n’était pas une
chose de Dieu. Ne tombons pas dans cette tentation. Notre fatigue est
précieuse aux yeux de Jésus, qui nous accueille et nous fait
relever: Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
moi je vous procurerai le repos. Quand quelqu’un sait que, mort de
fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire: Ça suffit pour
aujourd’hui, Seigneur, et se rendre devant le Père, il sait aussi
qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que
celui qui a oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse,
le Seigneur l’oint également: Il met le diadème sur sa tête au
lieu de la cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le
chant au lieu d’un esprit abattu. Ayons
bien présent à l’esprit qu’une clé de la fécondité
sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont
nous sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il
est difficile d’apprendre à se reposer! Là se joue notre
confiance, et aussi le souvenir que nous aussi nous sommes des brebis
et nous avons besoin du pasteur, qui nous aide. Quelques questions à
ce sujet peuvent nous aider. Est-ce que je
sais me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute
l’affection que me donne le peuple fidèle de Dieu? Ou
bien, après le travail pastoral est-ce que je cherche des repos plus
raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux qu’offrent la
société de consommation? L’Esprit Saint est-il vraiment
pour moi repos dans la fatigue, ou seulement celui qui me fait
travailler? Est-ce que je sais demander l’aide
de quelque prêtre sage? Est-ce que je sais me reposer de moi-même,
de mon auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence?
Est-ce que je sais converser avec Jésus, avec le Père, avec la
Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs pour me
reposer dans leurs exigences qui sont douces et légères, dans la
satisfaction d’être avec eux, eux, ils aiment rester en ma
compagnie, et dans leurs intérêts et leurs références, seule les
intéresse la plus grande gloire de Dieu? Est-ce que je sais me
reposer de mes ennemis sous la protection du Seigneur? Est-ce que
j’argumente et conspire en moi-même, ressassant plusieurs fois ma
défense, ou est-ce que je me confie à l’Esprit Saint qui
m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion? Est-ce
que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul,
est-ce que je trouve le repos en disant: Je sais en qui j’ai mis ma
foi?".
"Revoyons
un moment, brièvement, les engagements des prêtres, qu’aujourd’hui
la liturgie nous proclame: porter aux pauvres la Bonne Nouvelle,
annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles,
donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du
Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le cœur brisé
et consoler les affligés. Ce ne sont pas des
tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le
sont par exemple les activités manuelles, construire une nouvelle
salle paroissiale, ou tracer les lignes d’un terrain de football
pour les jeunes du patronage… Les tâches mentionnées par Jésus
engagent notre capacité de compassion, ce sont des tâches dans
lesquelles le cœur est mû et ému. Nous nous réjouissons avec les
fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils font
baptiser, nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage
et à la famille, nous nous affligeons avec celui qui reçoit
l’onction sur un lit d’hôpital, nous pleurons avec ceux qui
enterrent une personne chère… Tant d’émotions… Si nous avons
le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le
cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne
sont pas un bulletin d’information: nous connaissons nos gens, nous
pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur, et le nôtre, en
souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il
est bouleversé et semble même mangé par les gens: prenez et
mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote
constamment quand il prend soin de son peuple fidèle: prenez et
mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne
dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui
toujours, toujours fatigue".
"Je
voudrais maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur
lesquelles j’ai médité. Il y a celle que nous pouvons appeler la
fatigue des gens, la fatigue des foules: pour le Seigneur, comme pour
nous, elle était épuisante, l’Évangile le dit, mais c’est une
bonne fatigue, une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui
le suivaient, les familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il
les bénisse, ceux qui avaient été guéris, qui venaient avec leurs
amis, les jeunes qui s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui
laissaient même pas le temps de manger. Mais le Seigneur ne se
fatiguait pas de rester avec les gens. Au contraire, il semble que
cela le remontait. Cette fatigue au milieu de notre activité est, en
général, une grâce qui est à portée de main de nous tous,
prêtres. C’est vraiment une belle chose, les gens aiment, désirent
et ont besoin de leurs pasteurs! Le peuple fidèle ne nous laisse pas
sans occupation directe, sauf si on se cache dans un bureau ou si on
part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est bonne,
c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur
de ses brebis…, mais avec le sourire de papa qui contemple ses
enfants et ses petits enfants. Rien à voir avec ceux qui
sentent des parfums chers et qui te regardent de loin et de haut.
Nous sommes les amis de l’Epoux, c’est là notre joie. Si Jésus
fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne pouvons pas être
des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est pire,
des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères…
Oui, très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son
Seigneur qui dit: Venez les bénis de mon Père".
"Il
y a aussi la fatigue que nous pouvons appeler la fatigue des ennemis.
Le démon et ses adeptes ne dorment pas, et comme leurs
oreilles ne supportent pas la Parole de Dieu, ils travaillent
inlassablement pour la faire taire ou la troubler. Ici la fatigue de
les affronter est plus dure. Non seulement il s’agit de faire le
bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut aussi
défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal. Le malin est
plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment
ce que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps.
Il est nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à
neutraliser, c’est une habitude importante, apprendre à
neutraliser: neutraliser le mal, ne pas arracher l’ivraie, ne pas
prétendre défendre comme des surhommes ce que seul le Seigneur doit
défendre. Tout cela aide à ne pas baisser les bras devant
l’épaisseur de l’iniquité, devant la dérision des méchants.
La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue est: Ayez
courage, j’ai vaincu le monde! Et cette parole nous donnera de la
force".
"Et
en dernier lieu...il y a la fatigue de soi-même. C’est
peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent
du fait d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et
nous donner quelque chose à faire (nous sommes ceux qui prenons
soin). En revanche, cette fatigue est plus autoréférentielle, c’est
la déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la
sérénité joyeuse de celui qui se découvre pécheur et qui a
besoin de pardon, d’aide; celui-là demande de l’aide et va de
l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à vouloir et ne pas
vouloir, le fait de tout risquer et ensuite de regretter l’ail et
les oignons d’Egypte, de jouer avec l’illusion d’être autre
chose. J’aime appeler cette fatigue minauder avec la mondanité
spirituelle. Et quand on reste seul, on s’aperçoit que beaucoup de
secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on a
même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y
avoir là pour nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse
nous indique la cause de cette fatigue: Tu ne manques pas de
persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager
ta peine. Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as
abandonné. Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas
se fatigue mal, et à la longue, se fatigue plus mal".
"L’image
la plus profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur
s’occupe de notre fatigue pastorale est celle de celui qui ayant
aimé les siens…, les aima jusqu’à la fin: La scène du lavement
des pieds. J’aime la contempler comme lavement de la
mission, que le Seigneur purifie aussi: Il s’implique avec nous, il
se charge le premier de nettoyer toute tache, ce smog mondain et
onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous avons fait en
son Nom. Nous savons que l’on peut voir dans les
pieds comment va tout notre corps. Dans la manière de suivre
le Seigneur se manifeste comment va notre cœur. Les
plaies des pieds, les déboitements et la fatigue sont des signes de
la manière dont nous l’avons suivi, de ces routes que nous avons
faites pour chercher ses brebis perdues, en essayant de conduire le
troupeau vers les verts pâturages et les eaux tranquilles. Le
Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé
sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet
pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de
guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la
nettoie. La sequela de Jésus est lavée par le Seigneur lui-même
pour que nous nous sentions en droit d’être joyeux, remplis, sans
peur ni faute et pour que nous ayons ainsi le courage de sortir et
d’aller jusqu’aux extrémités du monde, vers toutes les
périphéries, porter cette bonne nouvelle aux plus abandonnés,
sachant qu’il est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du
monde. Et s’il vous plaît, demandons la grâce
d’apprendre à être fatigués, mais bien fatigués!".
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