Cité
du Vatican, 12 décembre 2013 (VIS). "La
fraternité, fondement et route pour la paix" est le titre
choisi par le Pape François pour son premier message pour la Journée
mondiale de la paix (qui sera célébrée le 1 janvier prochain). En
voici la version française intégrale:
"Dans
mon premier message pour la Journée mondiale de la Paix je désire
adresser à tous, personnes et peuples, le vœu d’une existence
pleine de joie et d’espérance. Dans le cœur de chaque homme et de
chaque femme habite en effet le désir d’une vie pleine, à
laquelle appartient une soif irrépressible de fraternité, qui
pousse vers la communion avec les autres, en qui nous ne trouvons pas
des ennemis ou des concurrents, mais des frères à accueillir et à
embrasser. En effet, la fraternité est une dimension essentielle de
l’homme, qui est un être relationnel. La vive conscience d’être
en relation nous amène à voir et à traiter chaque personne comme
une vraie sœur et un vrai frère; sans cela, la construction d’une
société juste, d’une paix solide et durable devient impossible.
Et il faut immédiatement rappeler que la fraternité commence
habituellement à s’apprendre au sein de la famille, surtout grâce
aux rôles responsables et complémentaires de tous ses membres, en
particulier du père et de la mère. La famille est la source de
toute fraternité, et par conséquent elle est aussi le fondement et
la première route de la paix, puisque par vocation, elle devrait
gagner le monde par son amour. Le nombre toujours croissant
d’interconnexions et de communications qui enveloppent notre
planète rend plus palpable la conscience de l’unité et du partage
d’un destin commun entre les nations de la terre. Dans les
dynamismes de l’histoire, de même que dans la diversité des
ethnies, des sociétés et des cultures, nous voyons ainsi semée la
vocation à former une communauté composée de frères qui
s’accueillent réciproquement, en prenant soin les uns des autres.
Mais une telle vocation est encore aujourd’hui souvent contrariée
et démentie par les faits, dans un monde caractérisé par cette
mondialisation de l’indifférence, qui nous fait lentement nous
habituer à la souffrance de l’autre, en nous fermant sur
nous-mêmes. Dans de nombreuses parties du monde, la grave atteinte
aux droits humains fondamentaux, surtout au droit à la vie et à la
liberté religieuse ne semble pas connaître de pause. Le tragique
phénomène du trafic des êtres humains, sur la vie et le désespoir
desquels spéculent des personnes sans scrupules, en représente un
exemple inquiétant. Aux guerres faites d’affrontements armés,
s’ajoutent des guerres moins visibles, mais non moins cruelles, qui
se livrent dans le domaine économique et financier avec des moyens
aussi destructeurs de vies, de familles, d’entreprises. Comme l’a
affirmé Benoît XVI, la mondialisation nous rend proches, mais ne
nous rend pas frères. En outre, les nombreuses situations
d’inégalités, de pauvreté et d’injustice, signalent non
seulement une carence profonde de fraternité, mais aussi l’absence
d’une culture de la solidarité. Les idéologies nouvelles,
caractérisées par un individualisme diffus, un égocentrisme et un
consumérisme matérialiste affaiblissent les liens sociaux, en
alimentant cette mentalité du déchet, qui pousse au mépris et à
l’abandon des plus faibles, de ceux qui sont considérés comme
inutiles. Ainsi le vivre ensemble humain devient toujours plus
semblable à un simple ‘do ut des’ pragmatique et égoïste. En
même temps, il apparaît clairement que les éthiques contemporaines
deviennent aussi incapables de produire des liens authentiques de
fraternité, puisqu’une fraternité privée de la référence à un
Père commun, comme son fondement ultime, ne réussit pas à
subsister. Une fraternité véritable entre les hommes suppose et
exige une paternité transcendante. À partir de la reconnaissance de
cette paternité, se consolide la fraternité entre les hommes,
c’est-à-dire l’attitude de se faire le prochain qui prend soin
de l’autre.
Où
est ton frère?: Pour mieux comprendre cette vocation de l’homme à
la fraternité, pour reconnaître de façon plus adéquate les
obstacles qui s’opposent à sa réalisation et découvrir les
chemins de leur dépassement, il est fondamental de se laisser guider
par la connaissance du dessein de Dieu, tel qu’il est présenté de
manière éminente dans l'Ecriture. Selon le récit des origines,
tous les hommes proviennent de parents communs, d’Adam et Eve,
couple créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, de qui
naissent Caïn et Abel. Dans l’événement de la famille primitive,
nous lisons la genèse de la société, l’évolution des relations
entre les personnes et les peuples. Abel est berger, Caïn est
paysan. Leur identité profonde et à la fois leur vocation, est
celle d’être frères, aussi dans la diversité de leur activité
et de leur culture, de leur manière de se rapporter à Dieu et au
créé. Mais le meurtre d'Abel par Caïn atteste tragiquement le
rejet radical de la vocation à être frères. Leur histoire met en
évidence la tâche difficile à laquelle tous les hommes sont
appelés, de vivre unis, en prenant soin l’un de l’autre. Caïn,
n’acceptant pas la prédilection de Dieu pour Abel qui lui offrait
le meilleur de son troupeau –le Seigneur agréa Abel et son
offrande, mais il n’agréa pas Caïn et son offrande– tue Abel
par jalousie. De cette façon, il refuse de se reconnaître frère,
d’avoir une relation positive avec lui, de vivre devant Dieu, en
assumant ses responsabilités de soin et de protection de l’autre.
A la question: Où es ton frère? , avec laquelle Dieu interpelle
Caïn, lui demandant compte de son œuvre, il répond: Je ne sais
pas. Suis-je le gardien de mon frère? Puis nous dit la Genèse, Caïn
se retira de la présence du Seigneur. Il faut s’interroger sur les
motifs profonds qui ont entrainé Caïn à méconnaître le lien de
fraternité et, aussi le lien de réciprocité et de communion qui le
liait à son frère Abel. Dieu lui-même dénonce et reproche à Caïn
une proximité avec le mal: Le péché n’est-il pas à ta porte?
Caïn, toutefois, refuse de s’opposer au mal et décide de se jeter
sur son frère Abel, méprisant le projet de Dieu. Il lèse ainsi sa
vocation originaire à être fils de Dieu et à vivre la fraternité.
Le récit de Caïn et d’Abel enseigne que l’humanité porte
inscrite en elle une vocation à la fraternité, mais aussi la
possibilité dramatique de sa trahison. En témoigne l’égoïsme
quotidien qui est à la base de nombreuses guerres et de nombreuses
injustices : beaucoup d’hommes et de femmes meurent en effet par la
main de frères et de sœurs qui ne savent pas se reconnaître tels,
c’est-à-dire comme des êtres faits pour la réciprocité, pour la
communion et pour le don.
Vous
êtes tous des frères: La question surgit spontanément. Les hommes
et les femmes de ce monde ne pourront-ils jamais correspondre
pleinement à la soif de fraternité, inscrite en eux par le Père?
Réussiront-ils avec leurs seules forces à vaincre l’indifférence,
l’égoïsme et la haine, à accepter les différences légitimes
qui caractérisent les frères et les sœurs? En paraphrasant ses
paroles, nous pourrions synthétiser ainsi la réponse que nous donne
le Seigneur Jésus: Puisqu’il y a un seul Père qui est Dieu, tous
êtes tous des frères. La racine de la fraternité est contenue dans
la paternité de Dieu. Il ne s’agit pas d’une paternité
générique, indistincte et inefficace historiquement, mais bien de
l’amour personnel, précis et extraordinairement concret de Dieu
pour chaque homme. Il s’agit donc d’une paternité efficacement
génératrice de fraternité, parce que l’amour de Dieu, quand il
est accueilli, devient le plus formidable agent de transformation de
l’existence et des relations avec l’autre, ouvrant les hommes à
la solidarité et au partage agissant. En particulier, la fraternité
humaine est régénérée en et par Jésus Christ dans sa mort et
résurrection. La croix est le lieu définitif de fondation de la
fraternité, que les hommes ne sont pas en mesure de générer tout
seuls. Jésus Christ, qui a assumé la nature humaine pour la
racheter, en aimant le Père jusqu’à la mort, et à la mort de la
croix, nous constitue par sa résurrection comme humanité nouvelle,
en pleine communion avec la volonté de Dieu, avec son projet, qui
comprend la pleine réalisation de la vocation à la fraternité.
Jésus reprend depuis le commencement le projet du Père, en lui
reconnaissant le primat sur toutes choses. Mais le Christ, dans son
abandon à la mort par amour du Père, devient principe nouveau et
définitif de nous tous, appelés à nous reconnaître en Lui comme
frères parce qu’enfants du même Père. Il est l’Alliance même,
l’espace personnel de la réconciliation de l’homme avec Dieu et
des frères entre eux. Dans la mort en croix de Jésus, il y a aussi
le dépassement de la séparation entre peuples, entre le peuple de
l’Alliance et le peuple des Gentils, privé d’espérance parce
que resté étranger jusqu’à ce moment aux engagements de la
Promesse. Comme on lit dans la lettre aux Éphésiens, Jésus Christ
est celui qui réconcilie en lui tous les hommes. Il est la paix
puisque des deux peuples il en a fait un seul, abattant le mur de
séparation qui les divisait, c’est-à-dire l’inimitié. Il a
créé en lui-même un seul peuple, un seul homme nouveau, une seule
humanité nouvelle. Celui qui accepte la vie du Christ et vit en Lui,
reconnaît Dieu comme Père et se donne lui-même totalement à lui,
en l’aimant au-dessus de toute chose. L’homme réconcilié voit
en Dieu le Père de tous et, par conséquent, il est incité à vivre
une fraternité ouverte à tous. Dans le Christ, l’autre est
accueilli et aimé en tant que fils ou fille de Dieu, comme frère ou
sœur, non comme un étranger, encore moins comme un antagoniste ou
même un ennemi. Dans la famille de Dieu, où tous sont enfants d’un
même Père, et parce que greffés dans le Christ, fils dans le Fils,
il n’y a pas de vies de déchet. Tous jouissent d’une dignité
égale et intangible. Tous sont aimés de Dieu, tous ont été
rachetés par le sang du Christ, mort et ressuscité pour chacun.
C’est la raison pour laquelle on ne peut rester indifférent au
sort des frères.
La
fraternité, fondement et route pour la paix: Cela posé, il est
facile de comprendre que la fraternité est fondement et route pour
la paix. Les Encycliques sociales de mes prédécesseurs offrent une
aide précieuse dans ce sens. Il serait suffisant de se référer aux
définitions de la paix de Populorum Progressio de Paul VI ou de
Sollicitudo Rei Socialis de Jean-Paul II. De la première nous
retirons que le développement intégral des peuples est le nouveau
nom de la paix. De la seconde, que la paix est Opus Solidaritatis.
Paul VI affirmait que non seulement les personnes mais aussi les
Nations doivent se rencontrer dans un esprit de fraternité. Et il
explique: Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans
cette communion sacrée, nous devons…œuvrer ensemble pour édifier
l’avenir commun de l’humanité. Ce devoir concerne en premier
lieu les plus favorisés. Leurs obligations sont enracinées dans la
fraternité humaine et surnaturelle et se présentent sous un triple
aspect: Le devoir de solidarité, qui exige que les nations riches
aident celles qui sont moins avancées; le devoir de justice sociale
qui demande la recomposition en termes plus corrects des relations
défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; le devoir de
charité universelle, qui implique la promotion d’un monde plus
humain pour tous, un monde dans lequel tous aient quelque chose à
donner et à recevoir, sans que le progrès des uns constitue un
obstacle au développement des autres. Ainsi, si on considère la
paix comme Opus Solidaritatis, de la même manière, on ne peut
penser en même temps, que la fraternité n’en soit pas le
fondement principal. La paix, affirme Jean-Paul II, est un bien
indivisible. Ou c’est le bien de tous ou il ne l’est de personne.
Elle peut être réellement acquise et goûtée, en tant que
meilleure qualité de la vie et comme développement plus humain et
durable, seulement si elle crée de la part de tous, une
détermination ferme et persévérante à s’engager pour le bien
commun. Cela implique de ne pas se laisser guider par l’appétit du
profit et par la soif du pouvoir. Il faut avoir la disponibilité de
se perdre en faveur de l’autre au lieu de l’exploiter, et de le
servir au lieu de l’opprimer pour son propre avantage… L’autre,
personne, peuple ou nation, n’est pas vu] comme un instrument
quelconque dont on exploite à peu de frais la capacité de travail
et la résistance physique pour l’abandonner quand il ne sert plus,
mais comme notre semblable, une aide. La solidarité chrétienne
suppose que le prochain soit aimé non seulement comme un être
humain avec ses droits et son égalité fondamentale à l’égard de
tous, mais comme l’image vivante de Dieu le Père, rachetée par le
sang du Christ et objet de l’action constante de l’Esprit Saint,
comme un autre frère. Alors, rappelle Jean-Paul II, la conscience de
la paternité commune de Dieu, de la fraternité de tous les hommes
dans le Christ, fils dans le Fils, de la présence et de l’action
vivifiante de l’Esprit Saint, donnera à notre regard sur le monde
comme un nouveau critère d’interprétation, pour le transformer.
Fraternité,
prémisse pour vaincre la pauvreté: Dans Caritas in Veritate, mon
prédécesseur rappelait au monde combien le manque de fraternité
entre les peuples et les hommes est une cause importante de la
pauvreté. Dans de nombreuses sociétés, nous expérimentons une
profonde pauvreté relationnelle due à la carence de solides
relations familiales et communautaires. Nous assistons avec
préoccupation à la croissance de différents types de malaise, de
marginalisation, de solitude et de formes variées de dépendance
pathologique. Une semblable pauvreté peut être dépassée seulement
par la redécouverte et la valorisation de rapports fraternels au
sein des familles et des communautés, à travers le partage des
joies et des souffrances, des difficultés et des succès qui
accompagnent la vie des personnes. En outre, si d’un côté on
rencontre une réduction de la pauvreté absolue, d’un autre, on ne
peut pas ne pas reconnaître une grave croissance de la pauvreté
relative, c’est-à-dire des inégalités entre personnes et groupes
qui vivent dans une même région, ou dans un même contexte
historico-culturel. En ce sens, sont aussi utiles des politiques
efficaces qui promeuvent le principe de la fraternité, assurant aux
personnes –égales dans leur dignité et dans leurs droits
fondamentaux– d’accéder aux capitaux, aux services, aux
ressources éducatives, sanitaires, technologiques afin que chacun
ait l’opportunité d’exprimer et de réaliser son projet de vie,
et puisse se développer pleinement comme personne. On reconnaît
aussi la nécessité de politiques qui servent à atténuer une
répartition inéquitable excessive du revenu. Nous ne devons pas
oublier l’enseignement de l’Eglise sur ce qu’on appelle
l’hypothèque sociale, sur la base de laquelle, comme le dit saint
Thomas d’Aquin, il est permis et même nécessaire "que
l’homme ait la propriété des biens, quant à l’usage, il ne
doit jamais tenir les choses qu’il possède comme n’appartenant
qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens
qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux
autres. Enfin, il y a une dernière manière de promouvoir la
fraternité –et ainsi de vaincre la pauvreté– qui doit être à
la base de toutes les autres. C’est le détachement de celui qui
choisit d’adopter des styles de vie sobres et basés sur
l’essentiel, de celui qui, partageant ses propres richesses,
réussit ainsi à faire l’expérience de la communion fraternelle
avec les autres. Cela est fondamental pour suivre Jésus Christ et
être vraiment des chrétiens. C’est le cas non seulement des
personnes consacrées qui font vœux de pauvreté, mais aussi de
nombreuses familles et de nombreux citoyens responsables, qui croient
fermement que c’est la relation fraternelle avec le prochain qui
constitue le bien le plus précieux.
La
redécouverte de la fraternité dans l’économie: Les graves crises
financières et économiques contemporaines qui trouvent leur
origine, d’un côté dans l’éloignement progressif de l’homme
vis-à-vis de Dieu et du prochain, ainsi que dans la recherche avide
des bien matériels, et, de l’autre, dans l’appauvrissement des
relations interpersonnelles et communautaires– ont poussé de
nombreuses personnes à rechercher la satisfaction, le bonheur et la
sécurité dans la consommation et dans le gain, au-delà de toute
logique d’une saine économie. Déjà en 1979 Jean Paul II
dénonçait l’existence d’un danger réel et perceptible: Tandis
que progresse énormément la domination de l’homme sur le monde
des choses, l’homme risque de perdre les fils conducteurs de cette
domination, de voir son humanité soumise de diverses manières à ce
monde, et de devenir ainsi lui-même l’objet de manipulations
multiformes– pas toujours directement perceptibles– à travers
toute l’organisation de la vie communautaire, à travers le système
de production, par la pression des moyens de communication sociale.
La succession des crises économiques doit conduire à d’opportunes
nouvelles réflexions sur les modèles de développement économique,
et à un changement dans les modes de vie. La crise d’aujourd’hui,
avec son lourd héritage pour la vie des personnes, peut être aussi
une occasion propice pour retrouver les vertus de prudence, de
tempérance, de justice et de force. Elles peuvent aider à dépasser
les moments difficiles et à redécouvrir les liens fraternels qui
nous lient les uns aux autres, avec la confiance profonde dont
l’homme a besoin et est capable de quelque chose de plus que la
maximalisation de ses propres intérêts individuels. Surtout ces
vertus sont nécessaires pour construire et maintenir une société à
la mesure de la dignité humaine.
La
fraternité éteint la guerre: Dans l’année qui vient de
s’écouler, beaucoup de nos frères et sœurs ont continué à
vivre l’expérience déchirante de la guerre, qui constitue une
grave et profonde blessure portée à la fraternité. Nombreux sont
les conflits qui se poursuivent dans l’indifférence générale. A
tous ceux qui vivent sur des terres où les armes imposent terreur et
destructions, j’assure ma proximité personnelle et celle de toute
l’Eglise. Cette dernière a pour mission de porter la charité du
Christ également aux victimes sans défense des guerres oubliées, à
travers la prière pour la paix, le service aux blessés, aux
affamés, aux réfugiés, aux personnes déplacées et à tous ceux
qui vivent dans la peur. L’Eglise élève aussi la voix pour faire
parvenir aux responsables le cri de douleur de cette humanité
souffrante, et pour faire cesser, avec les hostilités, tout abus et
toute violation des droits fondamentaux de l’homme . Pour cette
raison je désire adresser un appel fort à tous ceux qui, par les
armes, sèment la violence et la mort: Redécouvrez votre frère en
celui qu’aujourd’hui vous considérez seulement comme un ennemi à
abattre, et arrêtez votre main ! Renoncez à la voie des armes et
allez à la rencontre de l’autre par le dialogue, le pardon, et la
réconciliation, pour reconstruire la justice, la confiance et
l’espérance autour de vous! Dans cette optique, il apparaît clair
que, dans la vie des peuples, les conflits armés constituent
toujours la négation délibérée de toute entente internationale
possible, en créant des divisions profondes et des blessures
déchirantes qui ont besoin de nombreuses années pour se refermer.
Les guerres constituent le refus concret de s’engager pour
atteindre les grands objectifs économiques et sociaux que la
communauté internationale s’est donnée. Cependant, tant qu’il y
aura une si grande quantité d’armement en circulation, comme
actuellement, on pourra toujours trouver de nouveaux prétextes pour
engager les hostilités. Pour cette raison, je fais mien l’appel de
mes prédécesseurs en faveur de la non prolifération des armes et
du désarmement de la part de tous, en commençant par le désarmement
nucléaire et chimique. Mais nous ne pouvons pas ne pas constater que
les accords internationaux et les lois nationales, bien que
nécessaires et hautement souhaitables, ne sont pas suffisants à eux
seuls pour mettre l’humanité à l’abri du risque de conflits
armés. Une conversion des cœurs est nécessaire, qui permette à
chacun de reconnaître dans l’autre un frère dont il faut prendre
soin, avec lequel travailler pour construire une vie en plénitude
pour tous. Voilà l’esprit qui anime beaucoup d’initiatives de la
société civile, y compris les organisations religieuses, en faveur
de la paix. Je souhaite que l’engagement quotidien de tous continue
à porter du fruit et que l’on puisse parvenir à l’application
effective, dans le droit international, du droit à la paix, comme
droit humain fondamental, condition préalable nécessaire à
l’exercice de tous les autres droits.
La
corruption et le crime organisé contrecarrent la fraternité:
L’horizon de la fraternité renvoie à la croissance en plénitude
de tout homme et de toute femme. Les justes ambitions d’une
personne, surtout si elle est jeune, ne doivent pas être frustrées
ni blessées, l’espérance de pouvoir les réaliser ne doit pas
être volée. Cependant, l’ambition ne doit pas être confondue
avec la prévarication. Au contraire, il convient de rivaliser dans
l’estime réciproque. De même, dans les querelles, qui sont un
aspect inévitable de la vie, il faut toujours se rappeler d’être
frères, et, en conséquence, éduquer et s’éduquer à ne pas
considérer le prochain comme un ennemi ou comme un adversaire à
éliminer. La fraternité génère la paix sociale, parce qu’elle
crée un équilibre entre liberté et justice, entre responsabilité
personnelle et solidarité, entre bien des individus et bien commun.
Une communauté politique doit, alors, agir de manière transparente
et responsable pour favoriser tout cela. Les citoyens doivent se
sentir représentés par les pouvoirs publics dans le respect de leur
liberté. Inversement, souvent, entre citoyen et institutions, se
glissent des intérêts de parti qui déforment cette relation,
favorisant la création d’un climat de perpétuel conflit. Un
authentique esprit de fraternité est vainqueur de l’égoïsme
individuel qui empêche la possibilité des personnes de vivre entre
eux librement et harmonieusement. Cet égoïsme se développe
socialement, soit dans les multiples formes de corruption,
aujourd’hui partout répandues, soit dans la formation des
organisations criminelles –des petits groupes jusqu’aux groupes
organisés à l’échelle globale– qui, minant en profondeur la
légalité et la justice, frappent au cœur la dignité de la
personne. Ces organisations offensent gravement Dieu, nuisent aux
frères et lèsent la création, et encore plus lorsqu’elles ont
une connotation religieuse. Je pense au drame déchirant de la drogue
sur laquelle on s’enrichit dans le mépris des lois morales et
civiles; à la dévastation des ressources naturelles et à pollution
en cours; à la tragédie de l’exploitation dans le travail; je
pense aux trafics illicites d’argent comme à la spéculation
financière, qui souvent prend un caractère prédateur et nocif pour
des systèmes économiques et sociaux entiers, exposant des millions
d’hommes et de femmes à la pauvreté; je pense à la prostitution
qui chaque jour fauche des victimes innocentes, surtout parmi les
plus jeunes, leur volant leur avenir; je pense à l’abomination du
trafic des êtres humains, aux délits et aux abus contre les
mineurs, à l’esclavage qui répand encore son horreur en tant de
parties du monde, à la tragédie souvent pas entendue des migrants
sur lesquels on spécule indignement dans l’illégalité. Jean
XXIII a écrit à ce sujet: Une société fondée uniquement sur des
rapports de force n’aurait rien d’humain : elle comprimerait
nécessairement la liberté des hommes, au lieu d’aider et
d’encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner.
Mais l’homme peut se convertir et il ne faut jamais désespérer de
la possibilité de changer de vie. Je voudrais que ce message soit un
message de confiance pour tous, aussi pour ceux qui ont commis des
crimes atroces, parce que Dieu ne veut pas la mort du pêcheur, mais
qu’il se convertisse et qu’il vive. Dans le vaste contexte de la
société humaine, en ce qui concerne le délit et la peine, on pense
aussi aux conditions inhumaines de tant de prisons, où le détenu
est souvent réduit à un état sous-humain, sa dignité d’homme se
trouvant violée, étouffé aussi dans son expression et sa volonté
de rachat. L’Eglise fait beaucoup dans tous ces domaines, et le
plus souvent en silence. J’exhorte et j’encourage à faire
toujours plus, dans l’espérance que de telles actions mises en
œuvre par tant d’hommes et de femmes courageux puissent être
toujours plus loyalement et honnêtement soutenues aussi par les
pouvoirs civils.
La
fraternité aide à garder et à cultiver la nature: La famille
humaine a reçu en commun un don du Créateur, la nature. La vision
chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la
licéité des interventions sur la nature pour en tirer bénéfice, à
condition d’agir de manière responsable, c'est-à-dire en en
reconnaissant la grammaire qui est inscrite en elle, et en utilisant
sagement les ressources au bénéfice de tous, respectant la beauté,
la finalité et l’utilité de chaque être vivant et de sa fonction
dans l’écosystème. Bref, la nature est à notre disposition, et
nous sommes appelés à l’administrer de manière responsable. Par
contre, nous sommes souvent guidés par l’avidité, par l’orgueil
de dominer, de posséder, de manipuler, de tirer profit; nous ne
gardons pas la nature, nous ne la respectons pas, nous ne la
considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin
et mettre au service des frères, y compris les générations
futures. En particulier, le secteur agricole est le secteur productif
premier qui a la vocation vitale de cultiver et de garder les
ressources naturelles pour nourrir l’humanité. A cet égard, la
persistance honteuse de la faim dans le monde m’incite à partager
avec vous cette demande: De quelle manière usons-nous des ressources
de la terre? Les sociétés doivent aujourd’hui réfléchir sur la
hiérarchie des priorités auxquelles on destine la production. En
effet, c’est un devoir contraignant d’utiliser les ressources de
la terre de manière à ce que tous soient délivrés de la faim. Les
initiatives et les solutions possibles sont nombreuses et ne se
limitent pas à l’augmentation de la production. Il est bien connu
que celle-ci est actuellement suffisante; et pourtant il y a des
millions de personnes qui souffrent et meurent de faim, et ceci est
un vrai scandale. Il est donc nécessaire de trouver les moyens pour
que tous puissent bénéficier des fruits de la terre, non seulement
pour éviter que s’élargisse l’écart entre celui qui a plus et
celui qui doit se contenter des miettes, mais aussi et surtout en
raison d’une exigence de justice, d’équité et de respect envers
tout être humain. En ce sens, je voudrais rappeler à tous cette
nécessaire destination universelle des biens qui est un des
principes cardinaux de la doctrine sociale de l’Eglise. Respecter
ce principe est la condition essentielle pour permettre un efficace
et équitable accès à ces biens essentiels et premiers dont tout
homme a besoin et a droit.
Conclusion:
La fraternité a besoin d’être découverte, aimée, expérimentée,
annoncée, et témoignée. Mais c’est seulement l’amour donné
par Dieu qui nous permet d’accueillir et de vivre pleinement la
fraternité. Le nécessaire réalisme de la politique et de
l’économie ne peut se réduire à une technique privée d’idéal,
qui ignore la dimension transcendante de l’homme. Quand manque
cette ouverture à Dieu, toute activité humaine devient plus pauvre
et les personnes sont réduites à un objet dont on tire profit.
C’est seulement si l’on accepte de se déplacer dans le vaste
espace assuré par cette ouverture à Celui qui aime chaque homme et
chaque femme, que la politique et l’économie réussiront à se
structurer sur la base d’un authentique esprit de charité
fraternelle et qu’elles pourront être un instrument efficace de
développement humain intégral et de paix. Nous les chrétiens nous
croyons que dans l’Eglise nous sommes tous membres les uns des
autres, tous réciproquement nécessaires, parce qu’à chacun de
nous a été donnée une grâce à la mesure du don du Christ, pour
l’utilité commune. Le Christ est venu dans le monde pour nous
apporter la grâce divine, c'est-à-dire la possibilité de
participer à sa vie. Ceci implique de tisser une relation
fraternelle, empreinte de réciprocité, de pardon, de don total de
soi, selon la grandeur et la profondeur de l’amour de Dieu offert à
l’humanité par celui qui, crucifié et ressuscité, attire tout à
lui: Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les
autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les
autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes
disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.
C’est cette bonne nouvelle qui réclame de chacun un pas de plus,
un exercice persistant d’empathie, d’écoute de la souffrance et
de l’espérance de l’autre, y compris de celui qui est plus loin
de moi, en s’engageant sur le chemin exigeant de l’amour qui sait
se donner et se dépenser gratuitement pour le bien de tout frère et
de toute sœur. Le Christ embrasse tout l’homme et veut qu’aucun
ne se perde. Dieu a envoyé son fils dans le monde, non pas pour
juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Il le
fait sans opprimer, sans contraindre personne à lui ouvrir les
portes de son cœur et de son esprit. Le plus grand d’entre vous
doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place
de celui qui sert, dit Jésus-Christ, moi je suis au milieu de vous
comme celui qui sert. Toute activité doit être, alors, contresignée
d’une attitude de service des personnes, spécialement celles qui
sont les plus lointaines et les plus inconnues. Le service est l’âme
de cette fraternité qui construit la paix. Que Marie, Mère de
Jésus, nous aide à comprendre et à vivre tous les jours la
fraternité qui surgit du cœur de son Fils, pour porter la paix à
tout homme sur notre terre bien-aimée".