Cité
du Vatican, 16 février 2016 (VIS). Hier à 9 h locales, le
Saint-Père est arrivé par avion à Tuxtla Gutiérrez, la capitale
du Chiapas. Malgré les richesses naturelles de cet Etat mexicain
confinant avec le Guatemala, sa population est parmi les plus
pauvres, avec une basse espérance de vie. De ses quatre millions
d'habitants, plus de 30% ne parlent qu'une langue indigène. La
rébellion des années 1983 - 1994 a été principalement soutenue en
résistance passive par les populations rurales réclamant la
possession de la terre, la reconnaissance de leurs droits et de la
culture locale. Puis le Pape s'est déplacé en hélicoptère à San
Cristóbal de las Casas, ville fondée en 1528 et considérée comme
le coeur culturel du Chiapas. Elle porte le nom de son premier évêque
(1544 - 1566), le célèbre dominicain espagnol protecteur des
amérindiens. La messe, qui a été célébrée en espagnol au stade
de la ville en présence de 100.000 fidèles, a inclus trois langues
indigènes dont l'usage liturgique a été approuvé par le
Saint-Père. En voici l'homélie:
La
loi du Seigneur est parfaite qui redonne vie, a-t-il dit en langue
locale. "Ainsi commence le psaume que nous avons écouté. La
loi du Seigneur est parfaite, et le psalmiste énumère tout ce
qu'elle apporte à qui l’écoute et l’observe. La loi du Seigneur
redonne vie, rend sage les simples, réjouit le cœur, clarifie le
regard. C’est cette loi que le peuple d’Israël avait reçue des
mains de Moïse, une loi qui devait l'aider à vivre dans la liberté
à laquelle il avait été appelé. Une loi qui est destinée à être
lumière sur le chemin du peuple et l’accompagner dans sa marche.
Un peuple qui avait subi l’esclavage et le despotisme du pharaon,
qui avait expérimenté la souffrance et les abus, jusqu’à ce que
Dieu dise Assez, j’ai vu la misère, j’ai entendu les cris, je
connais vos souffrances. En cela s'est révélé la nature du Père
qui souffre devant la souffrance, les abus, l’injustice subie par
ses enfants. Sa parole, sa loi devient alors symbole de liberté,
symbole de joie, de sagesse et de lumière. Expérience, réalité
qui trouve écho dans cette expression qui naît de la sagesse bercée
en ce pays depuis des temps lointains et qui, dans le Popol Vuh, dit
ce qui suit: L’aube s’est levée sur toutes les tribus réunies.
La face de la terre a tout de suite été assainie par le soleil.
L’aube s’est levée pour les peuples qui ont sans cesse marché
dans les diverses ténèbres de l’histoire. Dans cette expression,
il y a une aspiration à vivre en liberté, il y a une aspiration qui
a un goût de terre promise, où l’oppression, les mauvais
traitements et la dégradation ne sont pas monnaie courante. Dans le
cœur de l’homme, et dans la mémoire de beaucoup de nos peuples,
est inscrit le désir d’une terre, d’un temps où le mépris sera
vaincu par la fraternité, l’injustice par la solidarité, et où
la violence sera réduite au silence par la paix".
"Notre
Père non seulement partage ce désir, mais lui-même l’a aussi
suscité et le suscite, en nous offrant son fils Jésus-Christ. En
lui, nous trouvons la solidarité du Père qui marche à nos côtés.
En lui, nous voyons comment cette loi parfaite prend chair et visage,
entre dans l’histoire pour accompagner et soutenir son peuple, se
fait Voie, Vérité et Vie pour que les ténèbres n’aient pas le
dernier mot et que l’aube ne tarde pas à se lever sur la vie de
ses enfants. De multiples façons et sous de multiples formes, on a
voulu réduire au silence et taire ce désir. De multiples façons,
on a voulu anesthésier notre âme, de multiples manières on a
essayé d’engourdir et d’endormir la vie de nos enfants et de nos
jeunes par l’insinuation que rien ne peut changer ou que ce sont
des rêves impossibles. Devant ces manières, la création aussi sait
élever la voix" et de rebeller devant "les dégâts que
nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus
des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant
que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à
l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé
par le péché se manifeste aussi dans les symptômes de maladie que
nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les
êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus
abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et
dévastée, qui gémit en travail d’enfantement. Le défi
environnemental que nous vivons et ses racines humaines nous touchent
tous et nous interpellent. Nous ne pouvons plus faire la sourde
oreille face à l’une des plus grandes crises environnementales de
l’histoire. En cela, vous avez beaucoup de choses à nous
enseigner, à enseigner à l’humanité. Vos peuples, comme l’ont
reconnu les évêques de l’Amérique latine, savent entrer en
relation, d’une manière harmonieuse, avec la nature qu’ils
respectent comme source de subsistance, maison commune et autel du
partage humain. Cependant, souvent, de manière systématique et
structurelle, vos peuples ont été incompris et exclus de la
société. Certains ont jugé inférieures vos valeurs, votre culture
et vos traditions. D’autres, étourdis par le pouvoir, l’argent
et les lois du marché, vous ont dépossédés de vos terres ou ont
posé des actes qui les polluent. C’est si triste! Que cela nous
ferait du bien, à tous, de faire un examen de conscience et
d’apprendre à dire pardon. Le monde d’aujourd’hui, dépouillé
par la culture du déchet, a besoin de vous".
"Exposés
à une culture qui essaie de supprimer toutes les richesses et
caractéristiques culturelles en vue d’un monde homogène, les
jeunes ont besoin que la sagesse de leurs anciens ne se perde pas. Le
monde d’aujourd’hui, pris par le pragmatisme, a besoin de
réapprendre la valeur de la gratuité. Nous affirmons avec certitude
que le Créateur ne nous abandonne pas, que jamais il ne fait marche
arrière dans son projet d’amour, qu’il ne se repend pas de nous
avoir créés. Nous célébrons le fait que Jésus-Christ meurt
encore et ressuscite en chaque geste que nous accomplissons envers le
plus petit de nos frères. Ayons à cœur de continuer à être
témoins de sa Passion, de sa Résurrection en donnant chair à la
loi du Seigneur est parfaite qui redonne vie".
A
la fin de la messe, le Pape a été salué par un représentant des
populations indigènes, reconnaissantes d'être venu les prendre en
considération, alors qu'elles vivent si loin de Rome. Il a dit
ressentir être compris et encouragés jusque dans la gestion de la
terre que Dieu a attribué à leurs ancêtres, et remercié tout
particulièrement le Saint-Père d'avoir honoré leur culture en
approuvant l'usage liturgique de leurs langues. Du stade, le Pape
s'est rendu à l'évêché pour déjeuner avec huit délégués des
communautés indigènes. Après quoi, il a gagné la cathédrale pour
saluer un groupe de personnes âgées et de malades. Ensuite, il
s'est recueilli sur la tombe de Mgr.Samuel Ruiz, décédé en 2011
après quarante ans d'épiscopat, dont la mémoire est vénérée
dans tout le Chiapas.