Cité
du Vatican, 1 février 2013 (VIS). "Croire dans la charité
suscite la charité. Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour
de Dieu est parmi nous", tel est le titre du
message de Benoît XVI pour le Carême (15 octobre 2012), dont voici
le texte complet: "Dans le contexte de l'Année de la foi, le
Carême nous offre une occasion précieuse pour méditer sur le
rapport entre foi et charité: entre le fait de croire en Dieu, dans
le Dieu de Jésus Christ, et l'amour qui est le fruit de l'action de
l'Esprit Saint et qui nous guide sur un chemin de consécration à
Dieu et aux autres.
"1.
La foi comme réponse à l'amour de Dieu. Dans
ma première encyclique, j’ai déjà offert certains éléments
pour saisir le lien étroit entre ces deux vertus théologales, la
foi et la charité. En partant de l'affirmation fondamentale de
l'apôtre Jean: Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour de
Dieu est parmi nous, je rappelais qu'à l’origine du fait d’être
chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée,
mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à
la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive...
Comme Dieu nous a aimés le premier, l’amour n’est plus seulement
un commandement, mais il est la réponse au don de l'amour par lequel
Dieu vient à notre rencontre. La foi constitue l'adhésion
personnelle, qui inclut toutes nos facultés, à la révélation de
l'amour gratuit et passionné que Dieu a pour nous et qui se
manifeste pleinement en Jésus-Christ. La rencontre avec Dieu Amour
interpelle non seulement le coeur, mais également l'esprit. La
reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui
de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et
sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce processus demeure
cependant constamment en mouvement, car l’amour n’est jamais
achevé ni complet. De là découle pour tous les chrétiens, et en
particulier, pour les personnes engagées dans les services de
charité, la nécessité de la foi, de la rencontre avec Dieu dans le
Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit à
l’autre, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé
pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence
découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour. Le
chrétien est une personne conquise par l'amour du Christ et donc, mû
par cet amour, il est ouvert de façon concrète et profonde à
l'amour pour le prochain. Cette attitude naît avant tout de la
conscience d'être aimés, pardonnés, et même servis par le
Seigneur, qui se penche pour laver les pieds des apôtres et s'offre
lui-même sur la croix pour attirer l'humanité dans l'amour de Dieu.
La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite
ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie
l’affirmation: Dieu est Amour. La foi, qui prend conscience de
l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le coeur transpercé de
Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il est la
lumière, l’unique lumière, qui illumine sans cesse un monde
plongé dans l’obscurité, et qui nous donne le courage de vivre et
d’agir. Tout cela permet de comprendre que l'attitude principale
qui distingue les chrétiens est précisément l’amour fondé sur
la foi et modelé par elle".
"2.
La charité comme vie dans la foi. Toute la
vie chrétienne est une réponse à l’amour de Dieu. La première
réponse est précisément la foi comme accueil, plein
d’émerveillement et de gratitude, d’une initiative divine inouïe
qui nous précède et nous interpelle. Et le oui de la foi marque le
début d’une histoire lumineuse d’amitié avec le Seigneur, qui
remplit et donne son sens plénier à toute notre existence. Mais
Dieu ne se contente pas que nous accueillions son amour gratuit. Il
ne se limite pas à nous aimer, mais il veut nous attirer à lui,
nous transformer de manière profonde au point que nous puissions
dire avec Paul: Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit
en moi. Quand nous laissons place à l’amour de Dieu, nous devenons
semblables à lui, nous participons de sa charité même. Nous ouvrir
à son amour signifie le laisser vivre en nous, et nous conduire à
aimer avec lui, en lui et comme lui. C’est alors que notre foi
devient vraiment opérante par la charité et qu’il prend demeure
en nous. La foi, c’est connaître la vérité et y adhérer. La
charité, c’est cheminer dans la vérité. Avec la foi, on entre
dans l’amitié avec le Seigneur. Avec la charité, on vit et on
cultive cette amitié. La foi nous fait accueillir le commandement du
Seigneur et Maître, tandis que la charité nous donne la béatitude
de le mettre en pratique. Dans la foi, nous sommes engendrés comme
fils de Dieu, et la charité nous fait persévérer concrètement
dans la filiation divine en apportant le fruit de l’Esprit Saint.
La foi nous fait reconnaître les dons que le Dieu bon et généreux
nous confie, et la charité les fait fructifier".
"3.
Le lien indissoluble entre foi et charité. A la lumière de ce qui a
été dit, il apparaît clairement que nous ne pouvons jamais
séparer, voire opposer, foi et charité. Ces deux vertus théologales
sont intimement liées et il est erroné de voir entre celles-ci une
opposition ou une dialectique. D’un côté, l’attitude de celui
qui place d’une manière aussi forte l’accent sur la priorité et
le caractère décisif de la foi, au point d’en sous-évaluer et de
presque mépriser les oeuvres concrètes de la charité et de la
réduire à un acte humanitaire générique, est réductrice. Mais,
de l’autre, il est tout aussi limitant de soutenir une suprématie
exagérée de la charité et de son activité, en pensant que les
oeuvres remplacent la foi. Pour une vie spirituelle saine, il est
nécessaire de fuir aussi bien le fidéisme que l’activisme
moraliste. L’existence chrétienne consiste en
une ascension continue du mont de la rencontre avec Dieu pour ensuite
redescendre, en portant l’amour et la force qui en dérivent, de
manière à servir nos frères et soeurs avec le même amour que
Dieu. Dans l’Ecriture nous voyons que le zèle des apôtres à
annoncer l’Evangile, que suscite la foi, est étroitement lié à
l’attention charitable du service envers les pauvres. Dans
l’Eglise, contemplation et action, symbolisées d’une certaine
manière par les figures évangéliques des soeurs Marie et Marthe,
doivent coexister et s’intégrer. La priorité va toujours au
rapport avec Dieu et le vrai partage évangélique doit s’enraciner
dans la foi. Parfois, on tend en effet à circonscrire le terme de
charité à la solidarité ou à la simple aide humanitaire. Il est
important, en revanche, de rappeler que la plus grande oeuvre de
charité est justement l’évangélisation, c’est-à-dire le
service de la Parole. Il n’y a pas d’action plus bénéfique, et
donc charitable, envers le prochain que rompre le pain de la Parole
de Dieu, le faire participer de la Bonne Nouvelle de l’Evangile,
l’introduire dans la relation avec Dieu: l’évangélisation est
la promotion la plus élevée et la plus complète de la personne
humaine. Comme l’écrit Paul VI dans l’encyclique Populorum
Progressio, le premier et principal facteur de développement est
l’annonce du Christ. C’est la vérité originelle de l’amour de
Dieu pour nous, vécue et annoncée, qui ouvre notre existence à
accueillir cet amour et rend possible le développement intégral de
l’humanité et de tout homme. En somme, tout part de l’Amour
et tend à l’Amour. L’amour gratuit de Dieu nous est communiqué
à travers l’annonce de l’Evangile. Si nous l’accueillons avec
foi, nous recevons ce premier et indispensable contact avec le divin
en mesure de nous faire aimer l’Amour, pour ensuite demeurer et
croître dans cet Amour et le communiquer avec joie aux autres. A
propos du rapport entre foi et oeuvres de charité, une expression de
l'épître aux Ephésiens résume peut-être leur corrélation de la
meilleure des manières: C’est bien par la grâce que vous êtes
sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le
don de Dieu. Cela ne vient pas de vos oeuvres, il n’y a pas à en
tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés en
Jésus-Christ, pour que nos oeuvres soient vraiment bonnes, conformes
à la voie que Dieu a tracée pour nous et que nous devons suivre. On
perçoit ici que toute l’initiative salvifique vient de Dieu, de sa
grâce, de son pardon accueilli dans la foi. Mais cette initiative,
loin de limiter notre liberté et notre responsabilité, les rend
plutôt authentiques et les orientent vers les oeuvres de charité.
Celles-ci ne sont pas principalement le fruit de l’effort humain,
dont tirer gloire, mais naissent de la foi elle-même, elles
jaillissent de la grâce que Dieu offre en abondance. Une foi sans
oeuvres est comme un arbre sans fruits: Ces deux vertus s’impliquent
réciproquement. Le Carême nous invite précisément, avec les dix
indications traditionnelles pour la vie chrétienne, à alimenter la
foi à travers une écoute plus attentive et prolongée de la Parole
de Dieu et la participation aux sacrements, et, dans le même temps,
à croître dans la charité, dans l’amour de Dieu et envers le
prochain, également à travers les indications concrètes du jeûne,
de la pénitence et de l’aumône".
"4.
Priorité de la foi, primat de la charité. Comme
tout don de Dieu, foi et charité reconduisent à l’action de
l’unique et même Esprit, qui crie en nous: Abbà! Père, et qui
nous fait dire: Jésus est Seigneur et Maranatha! Don et réponse, la
foi nous fait connaître la vérité du Christ comme Amour incarné
et crucifié, adhésion pleine et parfaite à la volonté du Père et
miséricorde divine infinie envers le prochain. La foi enracine dans
le coeur et dans l’esprit la ferme conviction que précisément cet
Amour est l’unique réalité victorieuse sur le mal et sur la mort.
La foi nous invite a regarder vers l’avenir avec la vertu de
l'espérance, dans l’attente confiante que la victoire de l’amour
du Christ atteigne sa plénitude. De son côté, la charité nous
fait entrer dans l’amour de Dieu manifesté dans le Christ, nous
fait adhérer de manière personnelle et existentielle au don total
de soi et sans réserve de Jésus au Père et à nos frères. En
insufflant en nous la charité, l’Esprit Saint nous fait participer
au don propre de Jésus: Filial envers Dieu et fraternel envers
chaque homme. La relation qui existe entre ces deux vertus est
semblable à celle entre les deux sacrements fondamentaux de l'Eglise
que sont le baptême et l’Eucharistie. Le baptême (Sacramentum
Fidei) précède l'Eucharistie (Sacramentum Caritatis), mais il est
orienté vers celle-ci, qui constitue la plénitude du cheminement
chrétien. De manière analogue, la foi précède la charité, mais
se révèle authentique seulement si elle est couronnée par
celle-ci. Tout part de l’humble accueil de la foi (se savoir aimé
de Dieu, mais doit arriver à la vérité de la charité (savoir
aimer Dieu et son prochain), qui demeure pour toujours, comme
accomplissement de toutes les vertus. Dans le Carême, où
nous nous préparons à célébrer l’événement de la Croix et de
la Résurrection, dans lequel l'Amour de Dieu a racheté le monde et
illuminé l’histoire, je vous souhaite à tous de vivre ce temps
précieux en ravivant votre foi en Jésus-Christ, pour entrer dans
son parcours d’amour envers le Père et envers chaque frère et
soeur que nous rencontrons dans notre vie".