Cité
du Vatican, 8 juillet 2015 (VIS). Après avoir rencontré hier matin
(à 9 h locales) l'épiscopat équatorien. à portes closes au Parc
du Bicentenaire de Quito, le Saint-Père a circulé en voiture
panoramique parmi la foule des fidèles (estimée à un million et
demi de personnes) rassemblés sur la grande esplanade du site. Ayant
revêtu les ornements liturgiques, confectionnés par des artisans et
des carmélites et marqués du lys symbolisant la première sainte du
pays (Mariana de Jesús) et du Sacré Coeur (auquel est consacré
l'Equateur), le Pape a concélébré une grand messe pour
l'évangélisation avec l'épiscopat national et 1.200 prêtres. A
l'homélie, il a développé le double thème de la libération de
l'inégalité et du péché, de la nécessité de la solidarité et
de l'évangélisation comme véhicule d'unité:
"La
parole de Dieu nous invite à vivre l’unité pour que le monde
croie. J’imagine ce susurrement de Jésus lors de la dernière Cène
comme un cri en cette messe... Le bicentenaire de ce cri de
l’indépendance de l’Amérique hispanique. C’était un cri, né
de la conscience de manque de libertés, la conscience d’être
objet d’oppression et de pillages, sujets aux convenances
contingentes des puissants du moment. Je voudrais qu’aujourd’hui
les deux cris coïncident sous le beau défi de l’évangélisation.
Non pas par des paroles pompeuses, ni par des termes compliqués,
mais qu’il jaillisse, ce cri, de la joie de l’Evangile qui
remplit le cœur et toute la vie de ceux
qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont
libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de
l’isolement. Nous autres, ici réunis,
tous ensemble autour de la table avec Jésus, nous sommes un cri, une
clameur née de la conviction que sa présence nous incite à
l’unité, indique un bel horizon, qui
offre un banquet désirable. Père, qu’ils
soient un pour que le monde croie, c’est ainsi qu’il l’a
souhaité en regardant le ciel. Cette demande jaillit chez Jésus
dans un contexte d’envoi: Comme tu m’as envoyé dans monde, moi
aussi, je les envoie dans le monde. En ce
moment, le Seigneur expérimente dans sa propre chair le pire de ce
monde qu’il aime à la folie, tel qu'il est, fait d'intrigues, de
méfiances, de trahisons. Mais il ne cache pas la tête, il ne se
lamente pas. Nous aussi nous constatons chaque jour que nous vivons
dans un monde lacéré par les guerres et la violence. Ce serait
superficiel de penser que la division et la haine affectent seulement
les tensions entre les pays ou les groupes sociaux. En réalité,
elles sont la manifestation de cet individualisme diffus qui nous
sépare et nous oppose, de la blessure du péché dans le cœur des
personnes, dont la société et la création entière souffrent les
conséquences. Précisément, à ce monde rebelle, Jésus nous
envoie, et notre réponse n’est pas de faire les distraits,
d’arguer que nous n’avons pas les moyens ou que la réalité nous
dépasse. Notre réponse répète le cri de Jésus et accepte la
grâce ainsi que la tâche de l’unité. A ce cri de liberté lancé
il y a plus de 2.000 ans, il n’a manqué ni conviction ni force,
mais l’histoire nous relate qu’il a été indiscutable seulement
quand il a laissé de côté les individualismes, la volonté de
leadership uniques, le manque de compréhension d’autres processus
de libération ayant des caractéristiques différentes mais pas pour
autant antagoniques".
"L’évangélisation
peut être le véhicule d’unité des aspirations, des sensibilités,
des espoirs et même de certaines utopies. Bien sûr que oui, nous le
croyons et le crions. Je l’ai déjà dit: Tandis que dans le monde,
spécialement dans certains pays, réapparaissent diverses formes de
guerre et de conflits, nous, les chrétiens, nous insistons sur la
proposition de reconnaître l’autre, de soigner les blessures, de
construire des ponts, de resserrer les relations et de nous aider à
porter les fardeaux les uns des autres. Le désir d’unité suppose
la douce et réconfortante joie d’évangéliser, la conviction
d’avoir un bien immense à communiquer et qu’en le communiquant,
il s’enracine, et quiconque a vécu cette expérience acquiert plus
de sensibilité pour les besoins des autres. D’où la nécessité
de lutter pour l’inclusion à tous les niveaux, en évitant des
égoïsmes, en promouvant la communication et le dialogue, en
encourageant la collaboration. Il faut ouvrir le cœur au compagnon
de route sans craintes, sans méfiances. Se confier à l’autre est
quelque chose d’artisanal. La paix est artisanale et il est
impensable que brille l’unité si la mondanité spirituelle fait
que nous sommes en guerre entre nous, dans une recherche stérile de
pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique. Cette
unité est déjà une action missionnaire pour que le monde croie.
L’évangélisation ne consiste pas à se livrer au prosélytisme,
mais à attirer à travers notre témoignage ceux qui sont éloignés,
à s’approcher humblement de ceux qui se sentent loin de Dieu et de
l’Eglise, de ceux qui sont craintifs ou de ceux qui sont
indifférents pour leur dire: Le Seigneur t’appelle toi aussi à
faire partie de son peuple et il le fait avec grand respect et
amour".
"La
mission de l’Eglise, comme sacrement de salut, correspond à son
identité comme peuple en chemin, ayant pour vocation d’incorporer
dans sa marche toutes les nations de la terre. Plus intense est la
communion entre nous, plus s’en trouve favorisée la mission.
Mettre l’Eglise en état de mission nous demande de recréer la
communion, car il ne s’agit pas d’une action uniquement vers
l’extérieur. Nous réalisions la mission à l’intérieur et nous
sommes en mission vers l’extérieur comme une mère qui va à la
rencontre, une maison accueillante, une école permanente de
communion missionnaire. Ce rêve de Jésus est
possible parce qu’il nous a consacrés, pour eux je me sanctifie
moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la
vérité. La vie spirituelle de l’évangélisateur naît de cette
vérité si profonde, qui ne se confond pas avec quelques moments
religieux qui apportent un certain soulagement. Jésus nous consacre
pour susciter une rencontre personnelle avec lui, qui alimente la
rencontre avec les autres, l’engagement dans le monde, la passion
évangélisatrice. L’intimité de Dieu, incompréhensible pour
nous, se révèle à nous à travers des images qui nous parlent de
communion, de communication, de don, d’amour. Voilà pourquoi
l’union que Jésus demande n’est pas une uniformité mais
l’harmonie multiforme qui attire.
L’immense richesse de ce qui est varié, de ce qui est multiple,
atteignant l’unité chaque fois que nous faisons mémoire de ce
Jeudi Saint, nous éloigne de la tentation de propositions plus
proches des dictatures, des idéologies ou des sectarismes. Ce n’est
pas non plus un arrangement fait à notre mesure, dans lequel nous
posons les conditions, choisissons les composantes et excluons les
autres. Jésus prie pour que nous fassions partie d’une grande
famille, dans laquelle Dieu est notre Père et tous nous sommes
frères. Cela ne se fonde pas sur le fait d’avoir les mêmes goûts,
les mêmes inquiétudes, les mêmes talents. Nous sommes frères
parce que, par amour, Dieu nous a créés et nous a destinés, de sa
propre initiative, à être ses enfants. Nous sommes frères parce
que Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet
Esprit crie Abba, Père! Nous sommes frères parce que, justifiés
par le sang de Christ Jésus, nous sommes passés de la mort à la
vie, devenus cohéritiers de la promesse. C’est le salut que Dieu
réalise et que l’Eglise annonce avec joie, le faire partie du nous
divin. Notre cri, en ce lieu qui rappelle ce premier cri de la
liberté, actualise celui de saint Paul: Malheur à moi si je
n’annonçais pas l’Evangile! Ce cri est si urgent et pressant
comme celui de ceux qui désirent l’indépendance. Il a une
fascination semblable, le même feu qui attire. Soyez des témoins
d’une communion fraternelle qui devient resplendissante".
"Qu’il
serait beau que tous puissent admirer comment nous prenons soin les
uns des autres. Comment mutuellement nous nous encourageons et
comment nous nous accompagnons. Le don de soi est celui qui établit
la relation interpersonnelle qui ne se génère pas en donnant des
choses, mais en se donnant soi-même. Dans tout don, s’offre la
personne même. Se donner signifie laisser agir en soi-même toute la
puissance de l’amour qui est l’Esprit de Dieu et ainsi faire
place à sa force créatrice. En se donnant, l’homme se retrouve
lui-même avec sa véritable identité de fils de Dieu, semblable au
Père et, comme lui, donneur de vie, frère de Jésus, auquel il rend
témoignage. C’est cela évangéliser, c’est cela notre
révolution parce que notre foi est toujours révolutionnaire. C’est
cela notre cri le plus profond et le plus constant".