Cité
du Vatican, 24 septembre 2013 (VIS). Voici le premier message que le
Pape François adresse à l'Eglise pour la prochaine Journée
mondiale de l'émigré et du réfugié (19 janvier 2014), dont le
titre est: "Migrants et réfugiés, vers un monde meilleur"
(daté du 5 août dernier):
"Nos
sociétés font l’expérience, comme cela n’est jamais arrivé
auparavant dans l’histoire, de processus d’interdépendance
mutuelle et d’interaction au niveau mondial, qui, s’ils
comprennent aussi des éléments problématiques ou négatifs, ont
pour objectif d’améliorer les conditions de vie de la famille
humaine, non seulement dans ses aspects économiques, mais aussi dans
ses aspects politiques et culturels. Du reste, chaque personne
appartient à l’humanité et partage l’espérance d’un avenir
meilleur avec toute la famille des peuples. De cette constatation est
né le thème que j’ai choisi" pour 2014. "Parmi les
résultats des mutations modernes, le phénomène croissant de la
mobilité humaine émerge comme un signe des temps , ainsi que l’a
défini Benoît XVI en 2006. Si d’une part, en effet, les
migrations trahissent souvent des carences et des lacunes des états
et de la communauté internationale, de l’autre elles révèlent
aussi l’aspiration de l’humanité à vivre l’unité dans le
respect des différences, l’accueil et l’hospitalité qui
permettent le partage équitable des biens de la terre, la sauvegarde
et la promotion de la dignité et de la centralité de tout être
humain. Du point de vue chrétien, aussi bien dans les phénomènes
migratoires, que dans d’autres réalités humaines, se vérifie la
tension entre la beauté de la création, marquée par la grâce et
la rédemption, et par le mystère du péché. A la solidarité et à
l’accueil, aux gestes fraternels et de compréhension, s’opposent
le refus, la discrimination, les trafics de l’exploitation, de la
souffrance et de la mort. Ce sont surtout les situations où la
migration n’est pas seulement forcée, mais même réalisée à
travers diverses modalités de traite des personnes et de réduction
en esclavage qui causent préoccupation. Si le travail d’esclavage
est aujourd’hui monnaie courante, malgré problèmes, risques et
difficultés, nombre de migrants et de réfugiés sont soutenus par
la confiance et l'espérance. Ils portent dans leur cœur le désir
d’un avenir meilleur non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour
leurs familles et pour les personnes qui leur sont chères.
Que
comporte la constitution d’un monde meilleur? Cette expression ne
fait pas allusion naïvement à des conceptions abstraites ou à des
réalités hors d’atteinte, mais oriente plutôt à la recherche
d’un développement authentique et intégral, à travailler pour
qu’il y ait des conditions de vie dignes pour tous, pour que les
exigences des personnes et des familles trouvent de justes réponses,
pour que la création que Dieu nous a donnée soit respectée, gardée
et cultivée. En 1967 Paul VI décrivait avec ces mots les
aspirations des hommes d’aujourd’hui: Etre affranchis de la
misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un
emploi stable, participer davantage aux responsabilités, hors de
toute oppression, à l’abri des situations qui offensent leur
dignité d’hommes, être plus instruits, en un mot, faire,
connaître, et avoir plus, pour être plus. Notre cœur désire un
plus qui n’est pas seulement un connaître plus ou un avoir plus,
mais qui est surtout un être plus. Le développement ne peut être
réduit à la simple croissance économique, obtenue, souvent sans
regarder aux personnes plus faibles et sans défense. Le monde peut
progresser seulement si l’attention première est dirigée vers la
personne, si la promotion de la personne est intégrale, dans toutes
ses dimensions, incluse la dimension spirituelle, si personne n’est
délaissé, y compris les pauvres, les malades, les prisonniers, les
nécessiteux, les étrangers, si on est capable de passer d’une
culture du rejet à une culture de la rencontre et de l’accueil.
Migrants et réfugiés ne sont pas des pions sur l’échiquier de
l’humanité. Il s’agit d’enfants, de femmes et d’hommes qui
abandonnent ou sont contraints d’abandonner leurs maisons pour
diverses raisons, et qui partagent le même désir légitime de
connaître, d’avoir mais surtout d’être plus. Le nombre de
personnes qui émigrent d’un continent à l’autre, de même que
celui de ceux qui se déplacent à l’intérieur de leurs propres
pays et de leurs propres aires géographiques, est impressionnant.
Les flux migratoires contemporains constituent le plus vaste
mouvement de personnes, sinon de peuples, de tous les temps. En
marche avec les émigrés et les réfugiés, l’Eglise s’engage à
comprendre les causes qui sont aux origines des migrations, mais
aussi à travailler pour dépasser les effets négatifs et à
valoriser les retombées positives sur les communautés d’origine,
de transit et de destination des mouvements migratoires.
Malheureusement,
alors que nous encourageons le développement vers un monde meilleur,
nous ne pouvons pas taire le scandale de la pauvreté dans ses
diverses dimensions. Violence, exploitation, discrimination,
marginalisation, approches restrictives aux libertés fondamentales,
aussi bien des individus que des collectivités, sont quelques-uns
des principaux éléments de la pauvreté à vaincre. Bien des fois
justement ces aspects caractérisent les déplacements migratoires,
liant migrations et pauvreté. Fuyant des situations de misère ou de
persécution vers des perspectives meilleures, ou pour avoir la vie
sauve, des millions de personnes entreprennent le voyage migratoire
et, alors qu’elles espèrent trouver la réalisation de leurs
attentes, elles rencontrent souvent méfiance, fermeture et exclusion
et sont frappées par d’autres malheurs, souvent encore plus graves
et qui blessent leur dignité humaine. La réalité des migrations,
avec les dimensions qu’elle présente en notre époque de la
mondialisation, demande à être affrontée et gérée d’une
manière nouvelle, équitable et efficace, qui exige avant tout une
coopération internationale et un esprit de profonde solidarité et
de compassion. La collaboration aux différents niveaux est
importante, avec l’adoption, par tous, des instruments normatifs
qui protègent et promeuvent la personne humaine. Benoît XVI en a
tracé les lignes, affirmant en 2009 qu’une telle politique doit
être développée en partant d’une étroite collaboration entre
les pays d’origine des migrants et les pays où ils se rendent;
elle doit s’accompagner de normes internationales adéquates,
capables d’harmoniser les divers ordres législatifs, dans le but
de sauvegarder les exigences et les droits des personnes et des
familles émigrées et, en même temps, ceux des sociétés où
arrivent ces mêmes émigrés. Travailler ensemble pour un monde
meilleur réclame une aide réciproque entre pays, avec disponibilité
et confiance, sans élever de barrières insurmontables. Une bonne
synergie peut encourager les gouvernants pour affronter les
déséquilibres socio-économiques et une mondialisation sans règles,
qui font partie des causes des migrations dans lesquelles les
personnes sont plus victimes que protagonistes. Aucun pays ne peut
affronter seul les difficultés liées à ce phénomène, qui est si
vaste qu’il concerne désormais tous les continents dans le double
mouvement d’immigration et d’émigration. Il est important,
ensuite, de souligner comment cette collaboration commence déjà par
l’effort que chaque pays devrait faire pour créer de meilleures
conditions économiques et sociales chez lui, de sorte que
l’émigration ne soit pas l’unique option pour celui qui cherche
paix, justice, sécurité, et plein respect de la dignité humaine.
Créer des possibilités d’embauche dans les économies locales,
évitera en outre la séparation des familles, et garantira les
conditions de stabilité et de sérénité, à chacun et aux
collectivités. Enfin, regardant la réalité des migrants et des
réfugiés, il y a un troisième élément que je voudrais mettre en
évidence sur le chemin de la construction d’un monde meilleur ;
c’est celui du dépassement des préjugés et des incompréhensions
dans la manière dont on considère les migrations. Souvent, en
effet, l’arrivée de migrants, de personnes déplacées, de
demandeurs d’asile et de réfugiés suscite chez les populations
locales suspicion et hostilité. La peur naît qu’il se produise
des bouleversements dans la sécurité de la société, que soit
couru le risque de perdre l’identité et la culture, que s’alimente
la concurrence sur le marché du travail, ou même, que soient
introduits de nouveaux facteurs de criminalité. Les moyens de
communication sociale, en ce domaine ont une grande responsabilité
car il leur revient de démasquer les stéréotypes et d’offrir des
informations correctes où il arrivera de dénoncer l’erreur de
certains, mais aussi de décrire l’honnêteté, la rectitude et la
grandeur d’âme du plus grand nombre. En cela, un changement
d’attitude envers les migrants et les réfugiés est nécessaire de
la part de tous: Le passage d’une attitude de défense et de peur,
de désintérêt ou de marginalisation qui, en fin de compte,
correspond à la culture du rejet à une attitude qui ait pour base
la culture de la rencontre, seule capable de construire un monde plus
juste et fraternel, un monde meilleur. Les moyens de communication,
eux aussi, sont appelés à entrer dans cette conversion des
attitudes et à favoriser ce changement de comportement envers les
migrants et les réfugiés.
Je
pense aussi à la manière dont la Sainte Famille de Nazareth a vécu
l’expérience du refus au début de sa route: Marie mit au monde
son fils premier né, elle l’emmaillota et le coucha dans une
mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle
commune. Plus encore, Jésus, Marie et Joseph ont fait l’expérience
de ce que signifie laisser sa propre terre et être migrants. Menacés
par la soif de pouvoir d’Hérode, ils ont été contraints de fuir
et de se réfugier en Egypte. Mais le cœur maternel de Marie et le
cœur prévenant de Joseph, gardien de la Sainte Famille, ont
toujours gardé la confiance que Dieu ne les abandonnerait jamais.
Par leur intercession, que cette même certitude soit toujours ferme,
dans le cœur du migrant et du réfugié. En répondant au mandat du
Christ d'aller et de faire de toutes les nations des disciples,
l’Eglise est appelée à être le peuple de Dieu qui embrasse tous
les peuples, et qui porte à tous les peuples l’annonce de
l’Evangile, puisque, sur le visage de toute personne est imprimé
le visage du Christ! Là se trouve la racine la plus profonde de la
dignité de l’être humain, qui est toujours à respecter et à
protéger. Ce ne sont pas tant les critères d’efficacité, de
productivité, de classe sociale, d’appartenance ethnique ou
religieuse qui fondent la dignité de la personne, mais le fait
d’être créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et plus
encore le fait d’être enfants de Dieu. Tout être humain est
enfant de Dieu et l’image du Christ est imprimée en lui. Il s’agit
alors de voir, nous d’abord et d’aider ensuite les autres à voir
dans le migrant et dans le réfugié, non pas seulement un problème
à affronter, mais un frère et une sœur à accueillir, à respecter
et à aimer, une occasion que la providence nous offre pour
contribuer à la construction d’une société plus juste, une
démocratie plus accomplie, un pays plus solidaire, un monde plus
fraternel et une communauté chrétienne plus ouverte, selon
l’Evangile. Les migrations peuvent faire naître la possibilité
d’une nouvelle évangélisation, ouvrir des espaces à la
croissance d’une nouvelle humanité, annoncée par avance dans le
mystère pascal, une humanité pour laquelle toute terre étrangère
est une patrie et toute patrie est une terre étrangère. Chers
migrants, émigrés et réfugiés! Ne perdez pas l’espérance qu’à
vous aussi est réservé un avenir plus assuré, que sur vos sentiers
vous pourrez trouver une main tendue, qu’il vous sera donné de
faire l’expérience de la solidarité fraternelle et la chaleur de
l’amitié! A vous tous et à ceux qui consacrent leur vie et leurs
énergies à vos côtés, je vous assure de ma prière et je vous
donne de tout cœur la bénédiction apostolique".