Cité
du Vatican, 12 juillet 2015 (VIS). Samedi après-midi, au palais des
sports León Condou d'Asunción, le Pape a rencontré les
"constructeurs de la société" du Paraguay, c'est-à-dire
les professeurs d'écoles et d'universités, les artistes et
entrepreneurs, les journalistes, les associations de femmes, les
agriculteurs et les indigènes. Le Saint-Père a articulé son
discours en répondant à différentes questions, après avoir salué
en ces termes:
''Vous
voir tous, chacun provenant d'un secteur, d'une organisation, de
cette bien aimée société paraguayenne, avec ses joies, ses
préoccupations, ses luttes et ses recherches, cela m'amène à faire
une action de grâce à Dieu. Il semble bien que le Paraguay n'est
pas mort, grâce à Dieu. Parce qu'un peuple qui vit, un peuple qui
ne maintient pas ses préoccupations vivantes, un peuple qui vit dans
l'inertie de l'acceptation passive, est un peuple mort. Au contraire,
je vois en vous la sève d'une vie qui court et qui veut germer. Et
cela Dieu le bénit toujours. Dieu est toujours favorable à tout ce
qui aide à élever, à améliorer, la vie de ses enfants. Il y a des
choses qui sont mauvaises, oui. Il y a des situations injustes, oui.
Mais vous voir et vous entendre, m'aide à renouveler l'espérance
dans le Seigneur qui agit toujours au milieu de son peuple. Vous
venez d'horizons différents, de situations et de recherches
différentes, et formez tous ensemble la culture paraguayenne. Tous
sont nécessaires dans la recherche du bien commun. Dans les
conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant
d'iniquités et toujours plus de personnes mises au rebut, vous voir
ici est un cadeau".
La
première question a été posée par un jeune préoccupé de faire
en sorte que la société soit un environnement de fraternité, de
justice, de paix et de dignité pour tous.
''La
jeunesse est le temps de grands idéaux -a dit le Pape-. Je dis
souvent que voir un jeune retraité me rend triste. Ce qui important
est que vous les jeunes... deviniez que le vrai bonheur passe par la
lutte d'un pays plus fraternel. Et il est bon que vous les jeunes,
compreniez que bonheur et plaisir ne sont pas synonymes. Une chose
est le bonheur et la joie... et une autre chose est un plaisir
passager. Le bonheur se construit, est solide, édifie... il exige de
s'engager et de se donner. C'est très précieux de s'engager, se
donner... Le Paraguay a une population très jeune et c'est une
grande richesse. C'est pourquoi, je pense que la première chose à
faire est d'éviter que cette force s'éteigne, que cette lumière
qui existe dans vos coeurs disparaisse, et contrecarre la mentalité
croissante qui considère comme inutile et absurde d'aspirer à des
choses qui en valent la peine...
Jouer
pour quelque chose, jouer pour quelqu'un. C'est la vocation de la
jeunesse et n'ayez pas de peur de tout laisser sur le terrain. Jouez
propre, jouez avec tout. N'ayez pas de peur de donner le meilleur de
vous. Ne cherchez pas d'accord préalable pour éviter la fatigue, la
lutte. Ne subornez pas l'arbitre. Oui, ne faites pas cette lutte
seuls. Cherchez à bavarder, sachez écouter la vie, les histoires,
les contes des plus grands, et de vos grands-pères qui ont de la
sagesse. Perdez beaucoup de temps à écouter tout le bon qu'ils ont
à vous enseigner. Ils sont les gardiens de ce patrimoine spirituel
de foi et de valeurs qui définissent un peuple et éclairent le
chemin... Jésus invite à travers de la mémoire de son peuple... La
fraternité, la justice, la paix et la dignité sont concrètes,
sinon, elles en servent à rien. Cela se fait tous les jours!
Maintenant, je vous demande à vous les jeunes: Comment vis-tu cet
idéal, au jour le jour, concrètement? Même si tu te trompes, te
corriges-tu et te relèves-tu? Concrètement. Moi je reconnais que
parfois cela me donne un peu d'allergie... écouter des discours
grandiloquents avec tous ces mots et, quand on connaît la personne
qui parle, on dit: Quel menteur es-tu. C'est pourquoi, les mots seuls
mots ne servent à rien. Si vous dites un mot engagez-vous avec ce
mot, chaque jour, sacrifiez-vous pour cela! Engagez-vous!".
La
deuxième question était consacrée au dialogue comme moyen pour
forger un projet de nation qui inclut tout le monde.
''Le
dialogue n'est pas facile -a répondu le Pape-. Il y aussi le
“dialogue-théâtre”, c'est-à-dire que nous représentons le
dialogue, nous jouons le dialogue et après nous parlons entre nous
deux, entre nous deux et l'autre est éliminé... Certes, par
exemple, je pense à notre dialogue, le dialogue inter-religieux, où
représentants des différentes religions, nous parlons. Nous nous
réunissons, parfois, pour parler... mais chacun parle à partir de
son identité: Je suis bouddhiste, je suis évangélique, je suis
orthodoxe, je suis catholique. Chacun parle, mais avec son identité.
Il ne négocie pas son identité. Et même, pour qu'un dialogue
existe, cette base fondamentale est nécessaire. Et quelle est
l'identité dans un pays?, nous parlons du dialogue social ici.
L'amour de la patrie? La patrie d'abord, après mes affaires... C'est
ça l'identité. Alors, à partir de cette identité, je vais
dialoguer. Si je vais dialoguer sans cette identité, le dialogue ne
sert à rien. De plus, le dialogue suppose, et la culture de la
rencontre nous exige à chercher cela. C'est-à-dire une rencontre
qui sache reconnaître que la diversité n'est pas seulement bonne,
elle est nécessaire. L'uniformité nous annihile, nous rend comme
des automates. La richesse de la vie est dans la diversité. Le point
de départ ne peut pas être: Je vais dialoguer mais il s'est trompé.
Non, non, nous ne pouvons présumer que l'autre se trompe. Je vais
avec mon bagage et je vais écouter ce que dit l'autre, en quoi il
m'enrichit, en quoi l'autre me permet de me rendre compte que je me
trompe, et quelles choses je peux apporter à l'autre. C'est un
aller-retour, mais avec le cœur ouvert... C'est cela la culture de
la rencontre. Dialoguer ce n'est pas négocier. Négocier c'est
essayer de tirer sa carte du jeu.... Si tu vas avec cette intention,
tu ne perds pas de temps. C'est rechercher le bien commun pour tous.
Souvent cette culture de la rencontre se trouve prise dans le
conflit... Nous n'avons pas à le craindre! Nous n'avons pas à
ignorer le conflit... Le conflit existe, il faut l'assumer, il faut
essayer de le résoudre où l'on peut, mais en vue d'obtenir une
unité qui en soit pas uniformité, mais une unité dans la
diversité... Les vraies cultures ne sont jamais refermées sur
elles-mêmes. Si elles se ferment sur elles-mêmes , elles meurent.
Mais elles sont appelées à se rencontrer avec d'autres cultures et
à créer de nouvelles réalités... Sans ce présupposé essentiel,
sans cette base de fraternité, il sera très difficile d'arriver au
dialogue. Si quelqu'un considère qu'il y a des personnes, des
cultures, des situations de deuxième, troisième ou quatrième
catégorie... cela, c'est sûr, se terminera mal, parce qu'il aura
simplement manqué du minimum, qui est la reconnaissance de la
dignité de l'autre. Que n'existe jamais de personne de première,
deuxième, troisième, ou quatrième catégorie, tous sont du même
rang''.
La
troisième question a concerné l'accueil du cri des pauvres pour
construire une société plus inclusive.
''C'est
curieux, l'égoïste s'exclut. Nous voulons inclure -a observé le
Pape-, n'exclure personne, mais en pas nous auto-exclure, parce que
avons besoin tous de tous. Un autre aspect fondamental pour aider les
pauvres est la manière dont nous les voyons. Un regard idéologique
ne sert à rien, qui finit par les utiliser au service d'autres
intérêts politiques ou et personnels. Les idéologies finissent
mal, elles ne servent à rien. Les idéologies ont une relation ou
incomplète ou malade ou mauvaise avec le peuple. Les idéologies
n'assument pas le peuple. C'est pourquoi, regardez le siècle passé.
Comment ont terminé les idéologies? En dictatures, toujours,
toujours. Elles pensent pour le peuple, elles ne permettent pas
penser le peuple. Pour chercher effectivement son bien, il faut
d'abord avoir une vraie préoccupation pour la personne -je parle des
pauvres-, les évaluer à leur bonté. Mais, une évaluation réelle
exige d'être disposés à apprendre des pauvres... Les pauvres ont
beaucoup à nous apprendre en humanité, en bonté, en sacrifice, en
solidarité. Nous, les chrétiens, avons de plus un plus grand motif
d'aimer et de servir aux pauvres, parce que nous avons en eux le
visage, nous voyons le visage et la chair du Christ, qui s'est fait
pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté... Réfléchissons bien.
C'est un homme comme moi, qui passe un mauvais moment pour mille
raisons, économiques, politiques, sociales ou personnelles, je
pourrais être à sa place et pourrais désirer que quelqu'un m'aide.
Et en plus de désirer que quelqu'un m'aide, si je suis à cette
place, j'ai le droit d'être respecté".
Un
autre sujet a porté sur la croissance économique et la création de
richesse.
''Certes,
pour un pays, la croissance économique et la création de richesse,
sont nécessaires et doivent profiter à tous les citoyens sans que
personne ne reste exclu. Et cela est nécessaire - a assuré le
Saint-Père.- La création de cette richesse doit toujours être en
fonction du bien commun, de tous, et non de quelques-uns. En cela il
faut être très clairs. L'adoration de l'ancien veau d'or a trouvé
une version nouvelle et impitoyable dans le fétichisme de l'argent
et dans la dictature de l'économie sans visage. Les personnes dont
la vocation est d'aider au développement économique ont la tâche
de veiller à ce que celui-ci ait toujours un visage humain... Et
dans leurs mains se trouve la possibilité d'offrir un travail à
beaucoup de personnes et donner ainsi une espérance à de nombreuses
familles... Je leur demande de ne pas céder au modèle économique
idolâtre qui a besoin de sacrifier des vies humaines sur l'autel de
l'argent et de la rentabilité. Dans l'économie, dans l'entreprise,
dans la politique, la personne vient toujours en premier et l'habitat
où elle vit".
''A
juste titre, le Paraguay est connu dans le monde pour avoir été la
terre où ont commencé les Réductions, une des expériences
d'évangélisation et d'organisation sociale les plus intéressantes
de l'histoire. Dans celles-ci, l'Evangile a été l'âme et la vie de
communautés qui en connaissaient pas la faim, le désoeuvrement,
l'analphabétisme, ni l'oppression. Cette expérience historique nous
enseigne qu'une société plus humaine aujourd'hui est encore
possible. Vous l'avez vécu dans vos racines ici. C'est possible!
Quand il y a l'amour de l'homme, et la volonté de le servir, il est
possible de créer les conditions pour que tous aient l'accès aux
biens nécessaires, sans que personne ne soit écarté. Chercher dans
chaque cas les solutions par le dialogue''.
La
cinquième question a porté sur la définition et l'importance de la
culture pour un pays.
''Il
y a une culture cultivée, qui est culture et qui est bonne et il
faut la respecter -a répondu le Pape-. Mais il y a une autre
culture, qui a la même valeur, qui est la culture des peuples, des
peuples originaires, des diverses ethnies. Une culture que j'oserais
appeler, mais dans le bon sens, une culture populaire. Les peuples
ont leur culture et font leur culture... Voilà, avant de conclure,
je voudrais évoquer deux choses''.
''Alors,
comme il y a des hommes politiques ici présents -a-t-il ajouté- je
le dis fraternellement. Quelqu'un m'a dit: "Regardez, Untel est
séquestré par l'armée: faites quelque chose! non ?". Je ne
dis pas que c'est vrai, ou pas vrai, que c'est juste, ou pas juste,
mais l'une des méthodes qu'avaient les idéologies dictatoriales du
siècle passé, consistait à écarter les gens, par l'exil ou la
prison ou, dans le cas des camps d'extermination des nazis ou des
staliniens, par la mort. Pour qu'il y ait une vraie culture dans un
peuple, une culture politique et du bien commun, il faut des
jugements rapides et clairs et nets. Il n'y a pas besoin de recourir
à un autre type de stratagème. La justice nette, claire. Cela
aidera tout le monde.... Et après cela...une autre chose que je veux
dire aussi par honnêteté: une méthode qui ne donne pas de liberté
aux personnes pour assumer de façon responsable sa tâche de
construction de la société est du chantage. Le chantage est
toujours corruption : "Si tu fais cela, nous allons te faire
cela, avec lequel nous te détruisons". La corruption est la
mite, c'est la gangrène d'un peuple. Par exemple, aucun homme
politique ne peut accomplir son rôle, son travail, s'il fait du
chantage par des attitudes de corruption... Cela se retrouve dans
tous les peuples du monde parce que si un peuple veut maintenir sa
dignité, il n'y a qu'à l'éliminer. Je parle de quelque chose
d'universel".
"Et
je finis –a conclu le Saint-Père-. Pour moi, c'est une grande joie
de voir la quantité et la variété d'associations qui sont engagées
dans la construction d'un Paraguay chaque fois meilleur et plus
prospère, mais, qui si elles ne dialoguent pas, ne servent à rien.
Si elles font chanter, cela ne sert à rien. Cette multitude de
groupes et de personnes sont une grande symphonie, chacun avec sa
particularité et sa propre richesse, mais en cherchant l'harmonie
finale, l'harmonie, et c'est cela qui compte. Et n'ayez pas de peur
du conflit, mais parlez et cherchez des chemins de solution. Aimez
votre patrie, vos concitoyens et, surtout, les plus pauvres. Ainsi
ils seront devant le monde un témoignage de ce qu'un autre modèle
de développement est possible. Je suis convaincu, par votre
histoire, que vous aurez la force la plus grande qui existe : votre
humanité, votre foi, votre amour. C'est l'être du peuple paraguayen
qui le distingue si fortement des autres nations du monde. Et je
demande à la Vierge de Caacupé, notre Mère, qu'elles vous grade,
vous protège et vous encourage dans vos efforts. Que Dieu vous
bénisse et priez pour moi. Merci".