Cité
du Vatican, 13 janvier 2014 (VIS). Comme à
l'accoutumée en début d'année, le Pape s'est adressé ce matin au
Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège (180 états plus
l'Union européenne, l'Ordre de Malte et l'OLP. Le Saint-Siège est
observateur permanent près l'ONU et ses agences). Après les voeux
exprimés par le nouveau Doyen, l'Ambassadeur de Monaco, le
Saint-Père a prononcé le discours suivant:
"L’année
qui vient de se conclure a été particulièrement dense en
événements non seulement dans la vie de l’Eglise, mais aussi dans
le domaine des relations que le Saint-Siège entretient avec les
états et les organisations internationales. Je rappelle, en
particulier, l’établissement des relations diplomatiques avec le
Sud Soudan, la signature d’accords, de base ou spécifiques, avec
le Cap Vert, la Hongrie et le Tchad, et la ratification de celui avec
la Guinée équatoriale souscrit en 2012. La présence du Saint-Siège
s’est aussi développée dans le domaine régional, que ce soit en
Amérique centrale, où il est devenu Observateur extra-régional
auprès du Sistema de la Integración Centroamericana, ou en Afrique,
avec l’accréditation du premier Observateur permanent auprès de
la Communauté économique des Etats de l’Afrique occidentale. Dans
le message pour la Journée mondiale de la paix, consacré à la
fraternité comme fondement et chemin pour la paix, j’ai souligné
que la fraternité commence habituellement à s’apprendre au sein
de la famille qui, par vocation devrait gagner le monde par son amour
et contribuer à faire mûrir cet esprit de service et de partage qui
construit la paix . C’est ce que nous raconte la crèche, où nous
voyons la Sainte Famille non pas seule et isolée du monde, mais
entourée des bergers et des mages, c’est à dire une communauté
ouverte, dans laquelle il y a de la place pour tous, pauvres et
riches, proches et lointains. Et on comprend ainsi les paroles de mon
bien-aimé prédécesseur Benoît XVI, qui soulignait combien le
lexique familial est un lexique de paix. Malheureusement, souvent ce
n’est pas ce qui arrive, parce que le nombre des familles divisées
et déchirées augmente, non seulement à cause de la conscience
fragile du sens de l’appartenance qui caractérise le monde actuel,
mais aussi à cause des conditions difficiles dans lesquelles
beaucoup d’entre elles sont contraintes de vivre, au point de
manquer des moyens mêmes de subsistance. Par conséquent, des
politiques appropriées qui soutiennent, favorisent et consolident la
famille sont rendues nécessaires! Il arrive en outre que les
personnes âgées soient considérées comme un poids, tandis que les
jeunes ne voient pas devant eux des perspectives sûres pour leur
vie. Les aînés et les jeunes sont au contraire l’espérance de
l’humanité. Les premiers apportent la sagesse de l’expérience,
les seconds nous ouvrent à l’avenir, empêchant de nous refermer
sur nous-mêmes. Il est sage de ne pas exclure les personnes âgées
de la vie sociale pour maintenir vivante la mémoire d’un peuple.
De
même, il est bon d’investir sur les jeunes, avec des initiatives
adéquates qui les aident à trouver du travail et à fonder un foyer
domestique. Il ne faut pas éteindre leur enthousiasme. Je garde
vivante dans mon esprit l’expérience de la XXVIII Journée
mondiale de la jeunesse de Rio de Janeiro. Que de jeunes heureux j’ai
pu rencontrer! Que d’espérance et d’attente dans leurs yeux et
dans leurs prières! Que de soif de vie et de désir de s’ouvrir
aux autres ! La fermeture et l’isolement créent toujours une
atmosphère asphyxiante et lourde, qui tôt ou tard finit par
attrister et étouffer. Par contre, un engagement commun de tous est
utile pour favoriser une culture de la rencontre, parce que seul
celui qui est en mesure d’aller vers les autres est capable de
porter du fruit, de créer des liens de communion, d’irradier la
joie, de construire la paix. Les images de destruction et de mort que
nous avons eues sous les yeux au cours de l’année achevée le
confirment, s’il en était besoin. Que de souffrances, que de
désespoir à cause de la fermeture sur soi-même, qui prend peu à
peu le visage de l’envie, de l’égoïsme, de la rivalité, de la
soif de pouvoir et d’argent. Il semble, quelquefois, que ces
réalités soient destinées à dominer. Noël, au contraire, fonde
en nous, chrétiens, la certitude que la parole ultime et définitive
appartient au Prince de la paix, qui change les épées en soc et les
lances en serpes, et transforme l’égoïsme en don de soi et la
vengeance en pardon.
C’est
avec cette confiance que je désire regarder l’année qui s'ouvre.
Je ne cesse donc pas d’espérer que le conflit en Syrie ait
finalement une fin. La sollicitude pour cette chère population et le
désir de conjurer l’aggravation de la violence m’ont amené, en
septembre dernier, à promulguer une journée de jeûne et de prière.
A travers vous, je remercie profondément tous ceux qui, nombreux
dans vos pays, autorités publiques et personnes de bonne volonté,
se sont associés à cette initiative. Il faut maintenant une volonté
politique commune renouvelée pour mettre fin au conflit. Dans cette
perspective, je souhaite que la Conférence Genève 2, convoquée
pour le 22 janvier, marque le début du chemin désiré de
pacification. En même temps, le plein respect du droit humanitaire
est incontournable. On ne peut accepter que la population civile sans
défense, surtout les enfants, soit frappée. En outre, j’encourage
chacun à favoriser et à garantir, de toutes les façons possibles,
la nécessaire et urgente assistance d’une grande partie de la
population, sans oublier le louable effort des pays, surtout le Liban
et la Jordanie, qui avec générosité ont accueilli sur leur
territoire les nombreux réfugiés syriens. Restant au Moyen Orient,
je note avec préoccupation les tensions qui de différentes manières
frappent la région. Je regarde avec une particulière inquiétude le
prolongement des difficultés politiques au Liban, où un climat de
collaboration renouvelée entre les différentes instances de la
société civile et les forces politiques est plus que jamais
indispensable pour éviter l’aggravation de divergences qui peuvent
miner la stabilité du pays. Je pense aussi à l’Egypte, qui a
besoin de retrouver une concorde sociale, ainsi qu'à l’Irak, qui
peine à arriver à la paix espérée et à la stabilité. En même
temps, je relève avec satisfaction les progrès significatifs
accomplis dans le dialogue entre l’Iran et le Groupe 5+1 sur la
question nucléaire. Partout, la voie pour résoudre les
problématiques ouvertes doit être la voie diplomatique du dialogue.
C’est le chemin éminent déjà indiqué avec lucidité par Benoît
XV alors qu’il invitait les responsables européens à faire
prévaloir la force morale du droit sur la force matérielle des
armes pour mettre fin au désastre inutile qu’a été la première
Guerre mondiale, dont c'est le centenaire. Il faut le courage d’aller
au-delà de la surface du conflit pour considérer les autres dans
leur dignité la plus profonde, afin que l’unité prévale sur le
conflit et qu’il soit possible de développer une communion dans
les différences. En ce sens, il est positif que les négociations de
paix entre Israéliens et Palestiniens aient été reprises, et je
forme le vœu que les parties soient déterminées à assumer, avec
le soutien de la communauté internationale, des décisions
courageuses pour trouver une solution juste et durable à un conflit
dont la fin se révèle toujours plus nécessaire et urgente.
L’exode
des chrétiens du Moyen Orient et du nord de l’Afrique ne cesse de
préoccuper. Ils désirent continuer à faire partie de l’ensemble
social, politique et culturel des pays qu’ils ont contribué à
édifier, et ils aspirent à concourir au bien commun des sociétés
dans lesquelles ils veulent être pleinement insérés, comme des
artisans de paix et de réconciliation. De même en d’autres
parties de l’Afrique, les chrétiens sont appelés à témoigner de
l’amour et de la miséricorde de Dieu. Il ne faut jamais renoncer à
faire le bien, même quand c’est difficile et quand on subit des
actes d’intolérance, ou même de vraie persécution. Dans de
grandes zones du Nigeria les violences ne cessent pas et beaucoup de
sang innocent continue à être versé. Ma pensée va surtout vers la
République centrafricaine, où la population souffre à cause des
tensions que le pays traverse, et qui ont semé à plusieurs reprises
destructions et mort. Alors que j’assure de ma prière pour les
victimes et pour les nombreuses personnes déplacées, contraintes à
vivre dans des conditions d’indigence, je souhaite que l’attention
de la communauté internationale contribue à faire cesser les
violences, à rétablir l’état de droit et à garantir l’accès
des aides humanitaires, même dans les zones les plus reculées du
pays. Pour sa part, l’Eglise catholique continuera d’assurer sa
présence et sa collaboration, en se dévouant avec générosité
pour fournir toute l’aide possible à la population, et surtout
pour reconstruire un climat de réconciliation et de paix entre
toutes les composantes de la société. Réconciliation et paix sont
aussi des priorités fondamentales en d’autres parties du continent
africain. Je me réfère en particulier au Mali, où on remarque la
reprise positive des structures démocratiques du pays, ainsi qu'au
Sud Soudan où, au contraire, l’instabilité politique de ces
derniers temps a déjà provoqué de nombreux morts et une nouvelle
urgence humanitaire. Le Saint-Siège suit également avec une vive
attention les événements en Asie, où l’Eglise désire partager
les joies et les attentes de tous les peuples qui composent ce vaste
et noble continent. A l’occasion du cinquantième anniversaire des
relations diplomatiques avec la Corée, je voudrais implorer de Dieu
le don de la réconciliation dans la péninsule, souhaitant que, pour
le bien de tout le peuple coréen, les parties concernées ne se
lassent pas de chercher des points de rencontre et de possibles
solutions. L’Asie, en effet, a une longue histoire de cohabitation
pacifique entre ses diverses composantes civiles, ethniques et
religieuses. Il faut encourager ce respect réciproque, surtout face
à certains signes préoccupants de son affaiblissement, en
particulier face à des attitudes croissantes de fermeture qui,
s’appuyant sur des motifs religieux, tendent à priver les
chrétiens de leurs libertés et à mettre en danger la cohabitation
civile. Le Saint-Siège regarde, en revanche, avec grande espérance
les signes d’ouverture qui viennent de pays de grande tradition
religieuse et culturelle, avec lesquels il désire collaborer à
l’édification du bien commun.
La
paix, de plus, est blessée par certaines négations de la dignité
humaine, en premier lieu par l’impossibilité de se nourrir de
manière suffisante. Les visages de tant de personnes qui souffrent
de la faim, surtout des enfants, ne peuvent nous laisser
indifférents, si l’on pense à tant de nourriture gaspillée
chaque jour en de nombreux endroits dans le monde, immergés dans ce
que j’ai plusieurs fois défini comme la culture du déchet.
Malheureusement, ce ne sont pas seulement la nourriture ou les biens
superflus qui sont objet de déchet, mais souvent les êtres humains
eux-mêmes, qui sont jetés comme s’ils étaient des choses
inutiles. Par exemple, la seule pensée que des enfants ne pourront
jamais voir la lumière, victimes de l’avortement, nous fait
horreur. Ou encore ceux qui sont utilisés comme soldats, violentés
ou tués dans les conflits armés, ou ceux qui sont objets de marché
dans cette terrible forme d’esclavage moderne qu’est la traite
des êtres humains, qui est un crime contre l’humanité. Le drame
des multitudes contraintes à fuir la famine ou les violences et les
abus ne peut nous laisser insensibles, en particulier dans la Corne
de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs. Beaucoup vivent en
déplacés ou en réfugiés dans des camps où ils ne sont plus
considérés comme des personnes mais comme des numéros anonymes.
D’autres, avec l’espérance d’une vie meilleure, entreprennent
des voyages de fortune, qui, bien souvent, se terminent tragiquement.
Je pense en particulier aux nombreux migrants qui d’Amérique
latine vont aux Etats-Unis, mais surtout à tous ceux qui d’Afrique
ou du Moyen Orient cherchent refuge en Europe.
La
brève visite que j’ai faite à Lampedusa en juillet dernier pour
prier pour les nombreux naufragés en Méditerranée, est encore vive
dans ma mémoire. Malheureusement il y a une indifférence générale
devant de semblables tragédies, signe dramatique de la perte du sens
de la responsabilité fraternelle, sur lequel est basé toute
société civile. Mais à cette occasion j’ai pu constater aussi
l’accueil et le dévouement de beaucoup de personnes. Je souhaite
au peuple italien, que je regarde avec affection, également en
raison des racines communes qui nous lient, de renouveler son louable
engagement de solidarité envers les plus faibles et les sans
défense, et, avec l’effort sincère et général des citoyens et
des institutions, de dépasser les difficultés actuelles, en
retrouvant le climat de créativité sociale constructive qui l’a
longtemps caractérisé. Enfin, je désire mentionner une autre
blessure à la paix, qui vient de l’exploitation avide des
ressources environnementales. Même si la nature est à notre
disposition, trop souvent nous ne la respectons pas et nous ne la
considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin,
et à mettre au service des frères, y compris des générations
futures. Egalement dans ce cas, il est fait appel à la
responsabilité de chacun pour que, dans un esprit fraternel, des
politiques respectueuses de notre terre qui est la maison de chacun
d’entre nous soient poursuivies. Je me souviens d’un dicton qui
dit: Dieu pardonne toujours, nous, nous pardonnons parfois, la
nature, la création, ne pardonne jamais quand elle est maltraitée!
D’autre part, nous avons vu les effets dévastateurs de certaines
catastrophes naturelles récentes. En particulier, je désire
rappeler encore les nombreuses victimes et les graves dévastations
aux Philippines et en d’autres pays du Sud-Est asiatique provoquées
par le typhon Haiyan.
Paul
VI remarquait que la paix ne se réduit pas à une absence de guerre,
fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se
construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu par
Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes. Tel
est l’esprit qui anime l’action de l’Eglise partout dans le
monde, à travers les prêtres, les missionnaires, les fidèles
laïcs, qui avec grand esprit de dévouement, se dépensent, entre
autre, en de multiples œuvres de caractère éducatif, sanitaire et
d’assistance, au service des pauvres, des malades, des orphelins et
de tous ceux qui ont besoin d’aide et de réconfort. Par cette
attention aimante, l’Eglise coopère avec toutes les institutions
qui ont à cœur tant le bien des individus que le bien commun. Au
début de cette nouvelle année, je désire donc renouveler la
disponibilité du Saint-Siège, et en particulier de la Secrétairerie
d’Etat, à collaborer avec vos pays pour favoriser ces liens de
fraternité, qui sont le reflet de l’amour de Dieu et le fondement
de la concorde et de la paix. Que la bénédiction du Seigneur
descende avec abondance sur vous, sur vos familles et sur vos
peuples".
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