Cité
du Vatican, 10 décembre 2014 (VIS). "Non
plus esclaves, mais frères", tel est le titre choisi par
le Pape François pour le message pour la Journée mondiale de la
paix 2015 (qui sera célébrée le 1 janvier prochain). En voici la
version française intégrale:
"Au
début d’une nouvelle année, que nous accueillons comme une grâce
et un don de Dieu à l’humanité, je désire adresser à chaque
homme et femme, ainsi qu’à chaque peuple et à chaque nation du
monde, aux chefs d’état et de gouvernement ainsi qu’aux
responsables des diverses religions, mes vœux fervents de paix, que
j’accompagne de ma prière afin que cessent les guerres, les
conflits et les nombreuses souffrances provoqués soit par la main de
l’homme soit par de vieilles et nouvelles épidémies comme par les
effets dévastateurs des calamités naturelles. Je prie de manière
particulière pour que, répondant à notre vocation commune de
collaborer avec Dieu et avec tous les hommes de bonne volonté pour
la promotion de la concorde et de la paix dans le monde, nous
sachions résister à la tentation de nous comporter de manière
indigne de notre humanité. Dans le message pour
le 1 janvier dernier, j’avais observé qu’au désir d’une vie
pleine appartient une soif irrépressible de fraternité, qui pousse
vers la communion avec les autres, en qui nous ne trouvons pas des
ennemis ou des concurrents, mais des frères à accueillir et à
embrasser. L’homme étant un être relationnel, destiné à se
réaliser dans le contexte de rapports interpersonnels inspirés par
la justice et la charité, il est fondamental pour son développement
que soient reconnues et respectées sa dignité, sa liberté et son
autonomie. Malheureusement, le fléau toujours plus répandu de
l’exploitation de l’homme par l’homme blesse gravement la vie
de communion et la vocation à tisser des relations interpersonnelles
empreintes de respect, de justice et de charité. Cet abominable
phénomène, qui conduit à piétiner la dignité et les droits
fondamentaux de l’autre et à en anéantir la liberté et la
dignité, prend de multiples formes sur lesquelles je désire
réfléchir brièvement, afin que, à la lumière de la Parole de
Dieu, nous puissions considérer tous les hommes non plus esclaves,
mais frères.
A
l’écoute du projet de Dieu sur l’humanité: Le thème que j’ai
choisi pour le présent message rappelle l'épître de Paul à
Philémon, dans laquelle l’apôtre demande à son collaborateur
d’accueillir Onésime, autrefois esclave de Philémon et
maintenant devenu chrétien, et donc, selon Paul, digne d’être
considéré comme un frère. Ainsi, l’apôtre des gentils écrit:
Il t’a été retiré pour un temps qu’afin de t’être rendu
pour l’éternité, non plus comme un esclave, mais bien mieux
qu’un esclave, comme un frère très cher. Onésime est devenu
frère de Philémon en devenant chrétien. Ainsi la conversion au
Christ, le début d’une vie de disciple dans le Christ, constitue
une nouvelle naissance qui régénère la fraternité comme lien
fondateur de la vie familiale et fondement de la vie sociale. Quand,
dans le Livre de la Genèse, nous lisons que Dieu créa l’homme
homme et femme et les bénit, afin qu’ils grandissent et se
multiplient, il fit d’Adam et d’Eve des parents qui, en
accomplissant la bénédiction de Dieu d’être féconds et de se
multiplier, ont généré la première fraternité, celle de Caïn
et Abel. Caïn et Abel sont frères, parce qu’ils viennent du même
sein, et donc ils ont la même origine, la même nature et la même
dignité que leurs parents, créés à l’image et à la
ressemblance de Dieu. Mais la fraternité exprime aussi la
multiplicité et la différence qui existent entre les frères, bien
que liés par la naissance et ayant la même nature et la même
dignité. En tant que frères et sœurs, toutes les personnes sont
donc par nature en relation avec les autres, dont elles se
différencient mais avec lesquelles elles partagent la même
origine, la même nature et la même dignité. C’est en raison de
cela que la fraternité constitue le réseau de relations
fondamentales pour la construction de la famille humaine créée par
Dieu. Malheureusement, entre la première création racontée dans
le livre de la Genèse et la nouvelle naissance dans le Christ, qui
rend les croyants frères et sœurs du premier né d’une multitude
de frères, il y a la réalité négative du péché qui, à
plusieurs reprises, rompt la fraternité issue de la création et
déforme continuellement la beauté et la noblesse du fait d’être
frères et sœurs de la même famille humaine. Non seulement Caïn
ne supporte pas son frère Abel, mais il le tue par envie en
commettant le premier fratricide. Le meurtre d’Abel par Caïn
atteste tragiquement le rejet radical de la vocation à être
frères. Leur histoire met en évidence la tâche difficile à
laquelle tous les hommes sont appelés, de vivre unis, en prenant
soin l’un de l’autre. Pareillement, dans l’histoire de la
famille de Noé et de ses fils, c’est l’impiété de Cham à
l’égard de son père Noé qui pousse celui-ci à maudire le fils
irrévérencieux et à bénir les autres, ceux qui l’avaient
honoré, en créant ainsi une inégalité entre frères nés du même
sein. Dans le récit des origines de la famille humaine, le péché
d’éloignement de Dieu, de la figure du père et du frère devient
une expression du refus de la communion et se traduit par la culture
de l’asservissement, avec les conséquences que cela implique et
qui se prolongent de génération en génération: refus de l’autre,
maltraitance des personnes, violation de la dignité et des droits
fondamentaux, institutionnalisation d’inégalités. D’où la
nécessité d’une continuelle conversion à l’Alliance,
accomplie par l’oblation du Christ sur la croix, confiants que là
où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé par Jésus
Christ Notre Seigneur. Lui, le Fils aimé, est venu révéler
l’amour du Père pour l’humanité. Quiconque écoute l’Evangile
et répond à l’appel à la conversion devient pour Jésus frère,
sœur et mère, et par conséquent fils adoptif de son Père.
On
ne devient cependant pas chrétien, fils du Père et frères dans le
Christ, par une disposition divine autoritaire, sans l’exercice de
la liberté personnelle, c’est à dire sans se convertir librement
au Christ. Le fait d’être fils de Dieu suit l’impératif de la
conversion: Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé
au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés, et vous
recevrez alors le don du Saint Esprit. Tous ceux qui ont répondu,
par la foi et dans la vie, à cette prédication de Pierre sont
entrés dans la fraternité de la première communauté chrétienne:
Juifs et grecs, esclaves et hommes libres, dont la diversité
d’origine et de condition sociale ne diminue pas la dignité
propre à chacun ni n’exclut personne de l’appartenance au
peuple de Dieu. La communauté chrétienne est donc le lieu de la
communion vécue dans l’amour entre les frères. Tout cela
démontre que la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, par qui Dieu fait
toutes choses nouvelles, est aussi capable de racheter les relations
entre les hommes, y compris celle entre un esclave et son maître,
en mettant en lumière ce que tous deux ont en commun la filiation
adoptive et le lien de fraternité dans le Christ. Jésus lui-même
a dit à ses disciples: Je ne vous appelle plus serviteurs, car le
serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais je vous appelle
mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai
fait connaître.
Les
multiples visages de l’esclavage hier et aujourd’hui: Depuis les
temps immémoriaux, les diverses sociétés humaines connaissent le
phénomène de l’asservissement de l’homme par l’homme. Il y a
eu des époques dans l’histoire de l’humanité où l’institution
de l’esclavage était généralement acceptée et régulée par le
droit. Ce dernier établissait qui naissait libre et qui, au
contraire, naissait esclave, et également dans quelles conditions
la personne, née libre, pouvait perdre sa liberté ou la
reconquérir. En d’autre termes, le droit lui-même admettait que
certaines personnes pouvaient ou devaient être considérées comme
la propriété d’une autre personne, laquelle pouvait en disposer
librement. L’esclave pouvait être vendu et acheté, cédé et
acquis comme s’il était une marchandise. Aujourd’hui,
suite à une évolution positive de la conscience de l’humanité,
l’esclavage, crime de lèse humanité, a été formellement aboli
dans le monde. Le droit de chaque personne à ne pas être tenue en
état d’esclavage ou de servitude a été reconnu dans le droit
international comme norme contraignante. Et pourtant, bien
que la communauté internationale ait adopté de nombreux accords en
vue de mettre un terme à l’esclavage sous toutes ses formes, et
mis en marche diverses stratégies pour combattre ce phénomène,
aujourd’hui encore des millions de personnes, enfants, hommes et
femmes de tout âge, sont privées de liberté et contraintes à
vivre dans des conditions assimilables à celles de l’esclavage.
Je pense aux nombreux travailleurs et
travailleuses, même mineurs, asservis dans les divers secteurs, au
niveau formel et informel, du travail domestique au travail
agricole, de l’industrie manufacturière au secteur minier, tant
dans les pays où la législation du travail n’est pas conforme
aux normes et aux standards minimaux internationaux que, même
illégalement, dans les pays où la législation protège le
travailleur. Je pense aussi aux conditions de vie de nombreux
migrants qui, dans leur dramatique parcours, souffrent de la faim,
sont privés de liberté, dépouillés de leurs biens ou abusés
physiquement et sexuellement. Je pense à ceux d’entre eux qui,
arrivés à destination après un voyage dans des conditions
physiques très dures et dominé par la peur et l’insécurité,
sont détenus dans des conditions souvent inhumaines. Je pense à
ceux d’entre eux que les diverses circonstances sociales,
politiques et économiques poussent à vivre dans la clandestinité,
et à ceux qui, pour rester dans la légalité, acceptent de vivre
et de travailler dans des conditions indignes, spécialement quand
les législations nationales créent ou permettent une dépendance
structurelle du travailleur migrant par rapport à l’employeur, en
conditionnant, par exemple, la légalité du séjour au contrat de
travail Oui, je pense au travail esclave. Je pense aux personnes
contraintes de se prostituer, parmi lesquelles beaucoup sont
mineures, et aux esclaves sexuels, aux femmes forcées de se marier,
à celles vendues en vue du mariage ou à celles transmises par
succession à un membre de la famille à la mort du mari sans
qu’elles aient le droit de donner ou de ne pas donner leur propre
consentement. Je ne peux pas ne pas penser à tous ceux qui, mineurs
ou adultes, font l’objet de trafic et de commerce pour le
prélèvement d’organes, pour être enrôlés comme soldats, pour
faire la mendicité, pour des activités illégales comme la
production ou la vente de stupéfiants, ou pour des formes masquées
d’adoption internationale. Je pense enfin à tous ceux qui sont
enlevés et tenus en captivité par des groupes terroristes,
asservis à leurs fins comme combattants ou, surtout en ce qui
concerne les jeunes filles et les femmes, comme esclaves sexuelles.
Beaucoup d’entre eux disparaissent, certains sont vendus plusieurs
fois, torturés, mutilés, ou tués.
Quelques
causes profondes de l’esclavage: Aujourd’hui comme hier, à la
racine de l’esclavage, il y a une conception de la personne
humaine qui admet la possibilité de la traiter comme un objet.
Quand le péché corrompt le cœur de l’homme, et l’éloigne de
son Créateur et de ses semblables, ces derniers ne sont plus perçus
comme des êtres d’égale dignité, comme frères et sœurs en
humanité, mais sont vus comme des objets. La personne humaine,
créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, par la force,
par la tromperie ou encore par la contrainte physique ou
psychologique, est privée de sa liberté, commercialisée, réduite
à être la propriété de quelqu’un, elle est traitée comme un
moyen et non comme une fin. A côté de cette
cause ontologique, refus de l’humanité dans l’autre, d’autres
causes concourent à expliquer les formes contemporaines
d’esclavage. Parmi elles, je pense surtout à la pauvreté, au
sous-développement et à l’exclusion, spécialement quand ils se
combinent avec le manque d’accès à l’éducation ou avec une
réalité caractérisée par de faibles, sinon inexistantes,
opportunités de travail. Fréquemment, les victimes de trafic et de
d’asservissement sont des personnes qui ont cherché une manière
de sortir d’une condition de pauvreté extrême, en croyant
souvent à de fausses promesses de travail, et qui au contraire sont
tombées entre les mains de réseaux criminels qui gèrent le trafic
d’êtres humains. Ces réseaux utilisent habilement les
technologies informatiques modernes pour appâter des jeunes, et des
très jeunes, partout dans le monde. De même, la corruption de ceux
qui sont prêts à tout pour s’enrichir doit être comptée parmi
les causes de l’esclavage. En effet, l’asservissement et le
trafic des personnes humaines requièrent une complicité qui
souvent passe par la corruption des intermédiaires, de certains
membres des forces de l’ordre ou d’autres acteurs de l’Etat ou
de diverses institutions, civiles et militaires. Cela arrive quand
au centre d’un système économique se trouve le dieu argent et
non l’homme, la personne humaine. Oui, au centre de tout système
social ou économique doit se trouver la personne, image de Dieu,
créée pour être le dominateur de l’univers. Quand la personne
est déplacée et qu’arrive le dieu argent se produit ce
renversement des valeurs. D’autres causes de l’esclavage sont
les conflits armés, les violences, la criminalité et le
terrorisme. De nombreuses personnes sont enlevées pour être
vendues, ou enrôlées comme combattantes, ou bien exploitées
sexuellement, tandis que d’autres sont contraintes à émigrer,
laissant tout ce qu’elles possèdent, terre, maison, propriétés,
ainsi que les membres de la famille. Ces dernières sont poussées à
chercher une alternative à ces conditions terribles, même au
risque de leur dignité et de leur survie, en risquant d’entrer
ainsi dans ce cercle vicieux qui en fait une proie de la misère, de
la corruption et de leurs pernicieuses conséquences.
Un
engagement commun pour vaincre l’esclavage: Souvent, en
observant le phénomène de la traite des personnes, du trafic
illégal des migrants et d’autres visages connus et inconnus de
l’esclavage, on a l’impression qu’il a lieu dans
l’indifférence générale. Si,
malheureusement, cela est vrai en grande partie, je voudrais
cependant rappeler l’immense travail silencieux que de nombreuses
congrégations religieuses, surtout féminines, réalisent depuis de
nombreuses années en faveur des victimes. Ces instituts œuvrent
dans des contextes difficiles, dominés parfois par la violence, en
cherchant à briser les chaînes invisibles qui lient les victimes à
leurs trafiquants et exploiteurs, des chaînes dont les mailles sont
faites de mécanismes psychologiques subtils qui rendent les
victimes dépendantes de leurs bourreaux par le chantage et la
menace, pour eux et leurs proches, mais aussi par des moyens
matériels, comme la confiscation des documents d’identité et la
violence physique. L’action des congrégations religieuses
s’articule principalement autour de trois actions: Le secours aux
victimes, leur réhabilitation du point de vue psychologique et de
la formation, et leur réintégration dans la société de
destination ou d’origine. Cet immense travail, qui demande
courage, patience et persévérance, mérite l’estime de toute
l’Église et de la société. Mais à lui seul, il ne peut
naturellement pas suffire pour mettre un terme au fléau de
l’exploitation de la personne humaine. Il faut aussi un triple
engagement, au niveau institutionnel, de la prévention, de la
protection des victimes et de l’action judiciaire à l’égard
des responsables. De plus, comme les organisations criminelles
utilisent des réseaux globaux pour atteindre leurs objectifs, de
même l’engagement pour vaincre ce phénomène requiert un effort
commun et tout autant global de la part des divers acteurs qui
composent la société.
Les
états devraient veiller à ce que leurs propres législations
nationales sur les migrations, sur le travail, sur les adoptions,
sur la délocalisation des entreprises et sur la commercialisation
des produits fabriqués grâce à l’exploitation du travail soient
réellement respectueuses de la dignité de la personne. Des lois
justes sont nécessaires, centrées sur la personne humaine, qui
défendent ses droits fondamentaux et les rétablissent s’ils sont
violés, en réhabilitant la victime et en assurant sa sécurité,
ainsi que des mécanismes efficaces de contrôle de l’application
correcte de ces normes, qui ne laissent pas de place à la
corruption et à l’impunité. Il est aussi nécessaire que soit
reconnu le rôle de la femme dans la société, en œuvrant
également sur le plan culturel et de la communication pour obtenir
les résultats espérés. Les organisations intergouvernementales,
conformément au principe de subsidiarité, sont appelées à
prendre des initiatives coordonnées pour combattre les réseaux
transnationaux du crime organisé qui gèrent la traite des
personnes humaines et le trafic illégal des migrants. Une
coopération à divers niveaux devient nécessaire, qui inclue les
institutions nationales et internationales, ainsi que les
organisations de la société civile et le monde de l’entreprise.
Les entreprises, en effet, ont le devoir de garantir à leurs
employés des conditions de travail dignes et des salaires
convenables, mais aussi de veiller à ce que des formes
d’asservissement ou de trafic de personnes humaines n’aient pas
lieu dans les chaînes de distribution. La responsabilité sociale
de l’entreprise est accompagnée par la responsabilité sociale du
consommateur. En effet, chaque personne devrait avoir conscience
qu’acheter est non seulement un acte économique mais toujours
aussi un acte moral. Les organisations de la société civile, de
leur côté, ont le devoir de sensibiliser et de stimuler les
consciences sur les pas nécessaires pour contrecarrer et éliminer
la culture de l’asservissement.
Ces
dernières années, le Saint-Siège, en entendant le cri des
victimes du trafic et la voix des congrégations religieuses qui les
accompagnent vers la libération, a multiplié les appels à la
communauté internationale afin que les différents acteurs unissent
leurs efforts et coopèrent pour mettre un terme à ce fléau. De
plus, certaines rencontres ont été organisées dans le but de
donner une visibilité au phénomène de la traite des personnes et
de faciliter la collaboration entre divers acteurs, dont des experts
du monde académique et des organisations internationales, des
forces de l’ordre de différents pays de provenance, de transit et
de destination des migrants, et des représentants des groupes
ecclésiaux engagés en faveur des victimes. Je souhaite que cet
engagement continue et se renforce dans les prochaines années.
Globaliser
la fraternité, non l’esclavage ni l’indifférence:
Dans son œuvre d’annonce de la vérité de l’amour du Christ
dans la société, l’Eglise s’engage constamment dans les
actions de caractère caritatif à partir de la vérité sur
l’homme. Elle a la tâche de montrer à tous le chemin vers la
conversion, qui amène à changer le regard sur le prochain, à
reconnaître dans l’autre, quel qu’il soit, un frère et une
sœur en humanité, à en reconnaître la dignité intrinsèque dans
la vérité et dans la liberté, comme nous l’illustre l’histoire
de Joséphine Bakhita, la sainte originaire du Darfour (Soudan),
enlevée par des trafiquants d’esclaves et vendue à des maîtres
terribles dès l’âge de neuf ans, et devenue ensuite, à travers
de douloureux événements, libre fille de Dieu par la foi vécue
dans la consécration religieuse et dans le service des autres,
spécialement des petits et des faibles. Cette sainte, qui a vécu
entre le XIX et le XX siècle, est aujourd’hui un témoin et un
modèle d’espérance pour les nombreuses victimes de l’esclavage,
et elle peut soutenir les efforts de tous ceux qui se consacrent à
la lutte contre cette plaie dans le corps de l’humanité
contemporaine, une plaie dans la chair du Christ. Dans cette
perspective, je désire inviter chacun, dans son rôle et dans ses
responsabilités particulières, à faire des gestes de fraternité
à l’égard de ceux qui sont tenus en état d’asservissement.
Demandons-nous comment, en tant que communauté ou comme individus,
nous nous sentons interpelés quand, dans le quotidien, nous
rencontrons ou avons affaire à des personnes qui pourraient être
victimes du trafic d’êtres humains, ou quand nous devons choisir
d’acheter des produits qui peuvent, en toute vraisemblance, avoir
été fabriqués par l’exploitation d’autres personnes. Certains
d’entre nous, par indifférence ou parce qu’assaillis par les
préoccupations quotidiennes, ou pour des raisons économiques,
ferment les yeux. D’autres, au contraire, choisissent de faire
quelque chose de positif, de s’engager dans les associations de la
société civile ou d’effectuer de petits gestes quotidiens comme
un bonjour ou un sourire, qui ne nous coûtent rien mais qui peuvent
donner l’espérance, ouvrir des voies, changer la vie d’une
personne qui vit dans l’invisibilité, et aussi changer notre vie
par la confrontation à cette réalité.
Nous
devons reconnaître que nous sommes en face d’un phénomène
mondial qui dépasse les compétences d’une seule communauté ou
nation. Pour le combattre, il faut une mobilisation de dimensions
comparables à celles du phénomène lui-même. Pour cette raison, je
lance un appel pressant à tous les hommes et à toutes les femmes de
bonne volonté, et à tous ceux qui, de près ou de loin, y compris
aux plus hauts niveaux des institutions, sont témoins du fléau de
l’esclavage contemporain, à ne pas se rendre complices de ce mal,
à ne pas détourner le regard face aux souffrances de leurs frères
et sœurs en humanité, privés de la liberté et de la dignité,
mais à avoir le courage de toucher la chair souffrante du Christ,
qui se rend visible à travers les innombrables visages de ceux que
lui-même appelle ces plus petits de mes frères. Nous savons que
Dieu demandera à chacun de nous: Qu’as-tu fait de ton frère? La
mondialisation de l’indifférence, qui aujourd’hui pèse sur les
vies de beaucoup de sœurs et de frères, requiert que nous nous
fassions tous les artisans d’une mondialisation de la solidarité
et de la fraternité, qui puisse leur redonner l’espérance et leur
faire reprendre avec courage le chemin à travers les problèmes de
notre temps et les perspectives nouvelles qu’il apporte et que Dieu
met entre nos mains.
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