Cité
du Vatican, 24 septembre (VIS). Hier après-midi en la cathédrale de
Washington, le Saint-Père a prononcé un important discours
programmatique devant les évêques américains. En voici la partie
principale:
"Avant
tout je rends grâce à Dieu pour le dynamisme évangélique qui a
permis la croissance remarquable de l’Eglise dans ce pays, ainsi
que la contribution généreuse, qu’elle a offerte et continue
d’offrir, à la société des États-Unis et au monde. J’apprécie
vivement votre générosité et votre solidarité envers le Siège
apostolique tout comme pour l’évangélisation dans beaucoup de
parties tourmentées du monde, et je vous en remercie avec émotion.
Je me réjouis de l’engagement indéfectible de votre Église pour
la cause de la vie et de la famille, motif principal de ma présente
visite. Je suis avec attention l’effort considérable d’accueil
et d’intégration des émigrés qui continuent de regarder
l’Amérique de la même manière que les pèlerins qui y ont abordé
à la recherche de ses ressources prometteuses de liberté et de
prospérité. J’admire l’effort au prix duquel vous poursuivez la
mission éducative dans vos écoles à tous les niveaux et l’œuvre
de charité de vos nombreuses institutions. Ce sont des activités
souvent conduites sans aucune aide publique... Je suis conscient du
courage avec lequel vous avez fait face à des moments
délicats...sans craindre les critiques et les humiliations. Vous
n'avez pas eu peur des sacrifices nécessaires pour retrouver
l’autorité et la confiance demandée aux ministres du Christ... Je
sais combien est gravée en vous la blessure des dernières années
et je vous ai accompagnés dans votre généreux engagement en faveur
des victimes" d'abus sexuels et dans vos efforts "afin que
de tels crimes ne se répètent plus jamais".
"Je
vous parle comme Evêque de Rome, appelé par Dieu d’une autre
terre américaine pour préserver l’unité de l’Eglise
universelle et pour encourager dans la charité le parcours de toutes
les Eglises particulières... Parmi vous, je ne me sens pas un
étranger... Je connais bien le défi de semer l’Evangile dans le
cœur d’hommes provenant de mondes différents, et qui souvent se
sont endurcis au long de l’âpre chemin parcouru avant d’arriver.
Elle ne m’est pas étrangère, l’histoire de l’effort pour
implanter l’Eglise entre plaines, montagnes, villes et banlieues
d’un territoire souvent inhospitalier, où les frontières sont
toujours provisoires, où les réponses évidentes ne durent pas, et
où la clé d’entrée demande de savoir conjuguer l’effort
héroïque des pionniers explorateurs avec la sagesse prosaïque et
la résistance des natifs... Dès l’aube de la nation américaine,
quand, au lendemain de la révolution a été créé le premier
diocèse à Baltimore, l’Eglise de Rome vous a toujours été
proche et son assistance constante, tout comme son encouragement, ne
vous a jamais fait défaut. Au cours des dernières décennies, trois
de mes prédécesseurs vous ont rendu visite, vous remettant un
important patrimoine d’enseignement toujours actuel, que vous avez
mis à profit pour orienter vos programmes pastoraux... Je
n’entends pas tracer un programme, ni définir une stratégie. Je
ne suis pas venu pour vous juger, ni pour donner des leçons. J’ai
pleinement confiance dans la voix de celui qui “enseigne tout.
Permettez-moi seulement, avec la liberté de l’amour, de parler
comme un frère parmi ses frères. Je n’ai pas à cœur de vous
dire ce qu’il faut faire, parce que nous savons tous ce que nous
demande le Seigneur. Je préfère plutôt revenir sur...les chemins à
parcourir, sur les sentiments à nourrir lorsqu’on travaille, sur
l’esprit dans lequel agir. Sans prétendre être exhaustif, je
partage avec vous quelques réflexions que j’estime opportunes pour
notre mission... Notre joie la plus grande est d’être pasteurs,
rien d’autre que pasteurs, d’un cœur sans partage et dans un don
de soi irréversible. Il faut garder cette joie sans permettre qu’on
nous la vole... L’essence de notre identité doit se chercher dans
la prière assidue, dans la prédication... Non pas une prière
quelconque, mais l’union familière avec le Christ, où l’on
croise chaque jour son regard pour entendre la question qui nous est
adressée, Qui est ma mère, qui sont mes frères?... Non pas une
prédication de doctrines complexes, mais l’annonce joyeuse du
Christ, mort et ressuscité pour nous... Que la Parole donne sens et
plénitude à toute partie de leurs vies, que les sacrements les
nourrissent de cet aliment qu’ils ne peuvent se procurer, que la
proximité du pasteur réveille en eux la nostalgie de l’étreinte
du Père. Veillez à ce que les fidèles rencontrent toujours dans le
cœur du pasteur cette réserve d’éternité qu’avec anxiété
l’on cherche en vain dans les choses du monde. Qu’ils trouvent
toujours sur vos lèvres l’appréciation pour leur capacité d’agir
et de construire, dans la liberté et dans la justice, la prospérité
dont est prodigue cette terre. Mais que ne fasse pas défaut le
courage serein de confesser qu’il faut travailler non pas pour la
nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque
dans la vie éternelle. Non pas se paître soi-même...ni rester
enfermés dans l’autoréférentialité, mais regarder toujours vers
les horizons de Dieu qui dépassent tout ce que nous sommes capables
de prévoir ou de planifier. Veiller aussi à fuir la tentation du
narcissisme, qui rend aveugle le pasteur, qui rend sa voix
méconnaissable et ses gestes stériles".
"Il
est certainement utile que l’évêque possède la clairvoyance du
leader et l’habileté de l’administrateur, mais le danger
reste...d'échanger le pouvoir de la force contre la force de
l’impuissance, à travers laquelle Dieu nous a sauvés. L’Evêque
doit avoir une perception lucide du combat entre la lumière et les
ténèbres qui se livre dans ce monde. Malheur à nous si nous
faisions de la croix un étendard de luttes mondaines, en ignorant
que la condition de la victoire durable est de se laisser transpercer
et vider de soi-même. Elle ne nous est pas étrangère, l’angoisse
des premiers onze, enfermés dans leurs murs, agressés et effarés,
habités par la peur des brebis dispersées parce que le pasteur a
été frappé. Mais nous savons que nous a été donné un esprit de
courage et non de timidité. Par conséquent, il n’est pas permis
de nous laisser paralyser par la peur. Je sais que les défis
auxquels vous êtes confrontés sont nombreux, que le champ dans
lequel vous semez est souvent hostile, et que les tentations sont
nombreuses de s’enfermer dans les murs de la peur à se lécher les
blessures, se rappelant une époque qui ne reviendra pas et
planifiant des réponses dures aux résistances qui sont d’ores et
déjà âpres. Et cependant, nous sommes des partisans de la culture
de la rencontre. Nous sommes des sacrements vivants de l’étreinte
entre la richesse divine et notre pauvreté. Nous sommes des témoins
de l’abaissement et de la condescendance de Dieu qui, dans l’amour,
précède aussi notre première réponse. Le dialogue est notre
méthode, non par stratégie habile, mais par fidélité à celui qui
ne se fatigue jamais de passer et de repasser sur les places des
hommes jusqu’à la onzième heure pour proposer son invitation
d’amour. Le chemin, c’est donc le dialogue entre vous, dialogue
dans vos presbytères, dialogue avec les laïcs, dialogue avec les
familles, dialogue avec la société. Je ne me lasserai pas de vous
encourager à dialoguer sans peur. Plus riche est le patrimoine, que
vous avez à partager dans la vérité, que plus éloquente soit
l’humilité avec laquelle vous l’offrez. N’ayez pas peur
d’accomplir l’exode nécessaire à tout dialogue authentique.
Autrement, il n’est pas possible de comprendre les raisons de
l’autre, ni de comprendre en profondeur que le frère ...compte
davantage que toutes les positions que nous jugeons éloignées des
nôtres, même si celles-ci sont d’authentiques certitudes. Le
langage aigre et belliqueux de la division ne convient pas aux lèvres
d’un pasteur, il n’a pas droit de cité dans son cœur et, même
s’il semble pour un moment assurer une apparente hégémonie, seul
l’attrait durable de la bonté et de l’amour reste vraiment
convainquant... Parfois la solitude de nos peines nous pèse, et nous
prenons tellement sur nous le joug que nous ne nous souvenons plus de
l’avoir reçu du Seigneur. Il semble seulement nôtre, et donc nous
nous traînons comme des bœufs fatigués dans le champ aride,
menacés par la sensation d’avoir travaillé en vain, oubliant la
plénitude du repos indissociablement lié à celui qui nous en a
fait la promesse... La grande mission que le
Seigneur nous confie, nous l’exerçons en communion, de manière
collégiale. Le monde est déjà tellement déchiré et divisé, le
morcellement a désormais élu domicile partout. Par conséquent,
l’Eglise, la tunique sans couture du Seigneur, ne peut se laisser
déchirer, être mise en morceaux, ou devenir objet de querelles.
Notre mission épiscopale est en premier de cimenter l’unité, dont
le contenu est déterminé par la Parole de Dieu et par l’unique
Pain du Ciel, par lesquels chacune des Eglises particulière...reste
catholique, ouverte et en communion avec toutes les autres et avec
celle de Rome qui préside à la charité. Il est impératif, par
conséquent, de veiller à cette unité, de la garder, de la
favoriser, d’en témoigner comme signe et instrument qui, au-delà
de toute barrière, unit nations, races, classes, générations. Que
l’Année Sainte de la Miséricorde toute proche, en nous
introduisant dans la profondeur inépuisable du cœur divin, dans
lequel il n’y a aucune division, soit pour tous une occasion
privilégiée pour renforcer la communion, perfectionner l’unité,
réconcilier les différences, se pardonner mutuellement et surmonter
toute division... Un tel service à l’unité est
particulièrement important pour votre pays, dont les vastes
ressources matérielles et spirituelles, culturelles et politiques,
historiques et humaines, scientifiques et technologiques imposent des
responsabilités morales non négligeables dans un monde assourdi et
qui peine à la recherche de nouveaux équilibres de paix, de
prospérité et d’intégration. Offrir aux Etats-Unis
d’Amérique l’humble et puissant levain de la
communion est donc une part essentielle de votre mission. Que
l’humanité le sache, le fait qu’elle est habitée par le
sacrement d’unité est la garantie qu’elle n’est pas destinée
à l’abandon ni à la désagrégation. Un tel témoignage
est un phare qui ne peut s’éteindre... Par conséquent je vous
encourage à affronter les questions de notre temps, qui constituent
des défis. Au fond de chacune d’elles, il y a toujours la vie
comme don et responsabilité. L’avenir de la liberté et de la
dignité de nos sociétés dépend de la manière dont nous saurons
répondre à de tels défis: La victime innocente de l’avortement,
les enfants qui meurent de faim ou sous les bombes, les immigrés qui
se noient à la recherche d’un lendemain, les personnes âgées ou
les malades dont on voudrait se débarrasser, les victimes du
terrorisme, des guerres, de la violence et du narcotrafic,
l’environnement dévasté par une relation déprédatrice de
l’homme avec la nature, en tout cela, est toujours en jeu le don de
Dieu dont nous sommes les nobles administrateurs, mais non les
maîtres. Il n’est donc pas permis de s’évader ni de se taire...
Ces aspects de la mission de l’Eglise...nous ont
été transmis par le Seigneur. Nous avons donc le devoir de les
garder et de les communiquer, même lorsque l’esprit du temps rend
imperméable et hostile à un tel message. Je vous encourage donc à
offrir un tel témoignage à la société".
"A
cette fin, il est très important que l’Eglise aux Etats-Unis soit
aussi un foyer humble qui attire les hommes par la splendeur de la
lumière et la chaleur de l’amour. Comme pasteurs, nous connaissons
bien l’obscurité et le froid qu’il y a encore dans le monde, la
solitude et l’abandon de beaucoup de personnes même là où
abondent les moyens de communication et les richesses matérielles,
mais aussi la peur de la vie, les désespoirs et les multiples
évasions qui y sont liées. Seule une Eglise qui sait se rassembler
autour du foyer demeure capable d’attirer. Certes, pas n’importe
quel feu, mais celui qui s’est allumé le matin de Pâques. C’est
le Seigneur ressuscité qui continue à interpeller les pasteurs de
l’Église à travers la voix des pauvres... Avant de
conclure ces réflexions, permettez-moi de vous faire encore deux
recommandations qui me tiennent à cœur. La première se réfère à
votre paternité épiscopale. Soyez des pasteurs proches de vos gens,
des pasteurs proches et des serviteurs. Que cette proximité
s’exprime de façon particulière envers vos prêtres.
Accompagnez-les afin qu’ils continuent à servir le Christ d’un
cœur sans partage, puisque seule la plénitude comble les ministres
du Christ. Je vous en prie, donc, ne les laissez pas se contenter de
demi-mesures. Prenez soin de leurs sources spirituelles afin qu’ils
ne tombent pas dans la tentation des notaires et des bureaucrates,
mais qu’ils soient l’expression de la maternité de l’Eglise
qui engendre et fait grandir ses enfants. Veillez à ce qu’ils ne
craignent pas de se lever en pleine nuit pour répondre à celui qui
frappe à la porte... Entraînez-les pour qu’ils soient prêts à
s’arrêter, à se pencher, à verser du baume, à prendre en charge
et à se dévouer en faveur de celui qui, par hasard, s’est trouvé
dépouillé de tout ce qu’il croyait posséder. Ma
seconde recommandation se réfère aux immigrés. Je présente des
excuses si de quelque façon, je défends presque ma propre cause.
L’Eglise des Etats-Unis connaît comme peu d’autres les
espérances des cœurs des pèlerins. Depuis toujours, vous avez
appris leur langue, soutenu leur cause, intégré leurs
contributions, défendu leurs droits, promu leur recherche de
prospérité, conservé allumée la flamme de leur foi. Encore à
présent, aucune institution américaine ne fait davantage pour les
immigrés que vos communautés chrétiennes. Maintenant, vous avez
cette longue vague d’immigration latine qui investit beaucoup de
vos diocèses. Non seulement comme Evêque de Rome, mais aussi
comme pasteur venu du Sud de l'Amérique, je sens le besoin de vous
remercier et de vous encourager. Il ne sera peut-être pas facile
pour vous de lire leur âme, peut-être serez-vous mis au défi par
leur diversité. Sachez, toutefois, qu’ils possèdent aussi des
ressources à partager. Accueillez-les donc sans peur. Offrez-leur la
chaleur de l’amour du Christ et déchiffrez le mystère de leur
cœur. Je suis certain que, encore une fois, ces gens enrichiront
l’Amérique et son Église. Que Dieu vous bénisse et que la Vierge
Marie vous garde!".
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