Cité
du Vatican, 14 février 2016 (VIS). Hier, le Saint-Père a quitté le
Palais National pour gagner non loin la célèbre place centrale de
la Constitution, sur laquelle se dresse la cathédrale métropolitaine
bâtie au XVI siècle sur les ruines du centre cultuel de la capitale
aztèque. Dans le grandiose édifice actuel, des XVII et XVIII
siècles, les Evêques du Mexique attendaient le Pape qui s'est
immédiatement déclaré heureux de les rencontrer. Evoquant les
visites de Jean-Paul II, il a demandé si "le
Successeur de Pierre, appelé du lointain sud latino-américain,
pouvait-il se priver de l’opportunité de poser son regard sur la
Morenita?".
"Sachant
qu’ici se trouve le cœur secret de chaque mexicain, j’entre sur
la pointe des pieds comme il convient d’entrer dans la maison ainsi
que dans l’âme de ce peuple. Je vous suis profondément
reconnaissant de m’ouvrir cette porte. Je sais qu’en contemplant
le visage de la Vierge, j’atteins celui de votre peuple qui, en
elle, a appris à se manifester. Je sais qu’aucune autre voix ne
peut exprimer avec autant de profondeur le cœur mexicain comme la
Vierge peut m’en parler. Elle protège ses plus hautes aspirations
et ses espérances les plus cachées, elle recueille ses joies et ses
larmes, comprend ses nombreuses langues et répond avec tendresse
maternelle à ses enfants... Comme je voudrais que ce soit elle en
personne qui vous exprime...tout ce que contient le cœur du Pape.
Comme le fit saint Juan Diego et comme le firent les générations
successives des enfants de la Guadalupana, le Pape désirait depuis
longtemps pouvoir la regarder. Mieux, je voulais, moi-même, être
sous son regard maternel. J’ai beaucoup réfléchi sur le mystère
de ce regard et je vous prie d’accueillir ce qui jaillit de mon
cœur de pasteur: Avant tout la Morenita
nous enseigne que l’unique force capable de conquérir le cœur des
hommes est la tendresse de Dieu. Ce qui enchante et attire, ce qui
fait fléchir et vainc, ce qui ouvre et déchaîne, ce n’est pas
la force des instruments ou la dureté de la loi, mais la faiblesse
toute-puissante de l’amour divin, qui est la force irrésistible de
sa douceur et la promesse irréversible de sa miséricorde".
l'écrivain Octavio Paz "a dit qu’à
la Vierge de Guadalupe, on ne demande plus l’abondance des récoltes
ou la fertilité de la terre, mais qu’on cherche...un abri, un
foyer. Des siècles après l’évènement
fondateur de ce pays et de l’évangélisation du continent, le
besoin de" cette protection maternelle "s’est-il estompé,
est-il oublié?". Commentant ensuite le discours prononcé par
Jean-Paul II le 22 janvier 1999, qui avait tracé les péripéties
historiques du Mexique, le Saint-Père a affirmé que le
christianisme est enraciné dans l'âme des Mexicains, dont
l'histoire "ne s’est jamais révélée stérile, et dont les
fractures menaçantes se sont toujours résorbées. C’est
pourquoi je vous invite à repartir de ce besoin de protection
maternelle qui émane de l’âme de votre peuple. La foi chrétienne
est capable de réconcilier le passé souvent
marqué de solitude, d’isolement et de marginalisation, avec
l’avenir continuellement relégué à un lendemain qui s’esquive...
Inclinez-vous donc, délicatement et avec respect, sur l’âme
profonde de votre peuple...toujours attentifs à en déchiffrer sle
mystérieux visage... La familiarité avec la douleur et la mort ne
sont-elles pas des formes de courage et des chemins vers l’espérance?
Percevoir que le monde doit être toujours et seulement sauvé
n’est-ce pas un antidote contre l’autosuffisance arrogante de
ceux qui croient pouvoir se passer de Dieu?".
"Soyez
donc des évêques au regard limpide, à l’âme transparente, au
visage lumineux. N’ayez pas peur de la transparence. L’Eglise n’a
pas besoin d’obscurité pour travailler. Veillez à ce que vos
regards ne soient pas obscurcis par les pénombres du brouillard de
la mondanité. Ne vous laissez pas corrompre par le matérialisme
trivial ni par les illusions séductrices des accords conclus en
dessous de table. Ne mettez pas votre confiance dans les"
promesses des puissants présents. "Le monde dans lequel
le Seigneur nous appelle à accomplir notre mission est devenu très
complexe... Les frontières si fortement invoquées
et soutenues sont devenues perméables à la nouveauté d’un monde
dans lequel la force de certains ne peut plus se maintenir sans la
vulnérabilité des autres. L’irréversible caractère hybride de
la technologie rend proche ce qui était lointain, mais
malheureusement, il éloigne ce qui devrait être proche. Or
c’est dans ce monde que Dieu vous demande
d’avoir un regard capable de saisir l’interrogation fusant de
votre peuple, l’unique qui a dans son calendrier une fête du cri.
A ce cri, il faut répondre que Dieu existe et est proche à travers
Jésus. Que seul Dieu est la réalité sur laquelle on peut
construire... Dans vos regards, le peuple mexicain a le droit
de trouver les traits de ceux qui ont vu le
Seigneur, de ceux qui ont été avec Dieu... Ne perdez donc pas temps
et énergies dans les choses secondaires, dans les commérages et les
intrigues, dans les vains projets de carrière, dans les plans vides
d’hégémonies, dans les clubs stériles d’intérêts ou de
coteries. Ne vous laissez pas entraîner par les rumeurs et les
médisances. Introduisez vos prêtres dans cette compréhension du
ministère sacré. Nous autres, ministres de Dieu, la grâce de boire
le calice du Seigneur, le don de protéger la part de son héritage
qui nous est confiée, nous suffit, même si nous sommes des
administrateurs inexpérimentés. Laissons le Père nous assigner la
place qui nous a été préparée. Pouvons-nous vraiment nous occuper
d’affaires autres que celles du Père? En dehors des affaires du
Père, nous perdons notre identité et, de manière coupable, nous
rendons vaine sa grâce. Si notre regard ne témoigne pas
d’avoir vu Jésus, alors ses paroles dont nous
faisons mémoire ne représenteraient que des figures rhétoriques
vides".
Il
est tout aussi important de porter attention aux jeunes: "Que
vos regards soient capables de croiser leurs regards, de les aimer et
de saisir ce qu’ils cherchent avec ce courage avec lequel beaucoup,
comme eux, ont quitté barques et filets sur l’autre rive de la
mer, ont abandonné des bancs d’extorsions en vue de suivre le
Seigneur de la vraie richesse.
Je suis particulièrement préoccupé par ceux d’entre eux qui,
séduits par la puissance du monde, exaltent les chimères et se
revêtent de leurs macabres symboles pour commercialiser la mort en
échange de trésor qu’en fin de compte les mites et la rouille
dévorent, et qui incite les voleurs à percer les murs. Je vous
demande de ne pas sous-évaluer le défi moral et anti-civique que
représente le narcotrafic pour la société mexicaine, y compris
l’Eglise. La proportion du phénomène, la complexité de
ses causes, l’immensité de son extension comme
une métastase qui dévore, la gravité de la violence qui désagrège,
tout comme ses connexions néfastes, ne nous permettent pas à nous,
pasteurs de l’Eglise, de nous réfugier derrière des condamnations
génériques. Mais tout cela exige un courage prophétique ainsi
qu’un projet pastoral sérieux et de qualité, pour contribuer,
progressivement, à resserrer ce délicat réseau humain, sans lequel
tous, nous serions dès le départ vaincus par cette insidieuse
menace. En commençant d’abord par les familles, en nous approchant
et en embrassant la périphérie humaine et existentielle des
territoires dévastés de nos villes, en impliquant les communautés
paroissiales, les écoles, les institutions communautaires, les
communautés politiques, les structures de sécurité. C’est
seulement ainsi qu’on pourra se libérer totalement des eaux dans
lesquelles malheureusement se noient tant de vies, que ce soit celle
de celui qui meurt comme victime, que ce soit celle de celui qui
devant Dieu aura toujours du sang sur les mains, même s’il a les
poches pleines d’argent sale et la conscience anesthésiée".
Les desseins de Dieu "sont déterminés par l’irréversibilité
de son amour qui veut avec persistance s’imprimer en nous. Soyez,
par conséquent, des évêques capables d’imiter cette liberté de
Dieu en choisissant ce qui est humble pour rendre visible la majesté
de son visage et de faire vôtre cette patience
divine en tissant, avec le fil fin de l’humanité que vous trouvez,
cet homme nouveau que votre pays espère. Ne vous laissez pas guider
par le vain désir de changer de peuple comme si l’amour de Dieu
n’avait pas assez de force pour le changer. Redécouvrez la
constance sage et humble avec laquelle les pères de la foi de ce
pays ont su introduire les générations successives
dans la sémantique du mystère divin. D’abord, en apprenant, et
ensuite, en enseignant la grammaire nécessaire pour dialoguer avec
ce Dieu, caché durant les siècles de leur recherche et fait proche
dans la personne de son Fils Jésus, qu’aujourd’hui tant de
personnes reconnaissent dans la figure ensanglantée et humiliée,
comme symbole de leur propre destin. Imitez sa condescendance et sa
capacité de s’abaisser. Nous ne comprendrons jamais assez le fait
qu’avec les fils métis de notre peuple Dieu a tissé le visage par
lequel il se fait connaître! Jamais, nous ne serons assez
reconnaissants. Je vous demande un regard
d’une délicatesse singulière pour les peuples indigènes et pour
leurs fascinantes cultures souvent occultées. Le Mexique a besoin de
leurs racines amérindiennes pour ne pas être réduit à une énigme
irrésolue. Les indigènes du Mexique attendent encore qu’on
reconnaisse effectivement la richesse de leur contribution et la
fécondité de leur présence pour assumer cette identité qui fait
de vous une nation unique et non seulement une parmi d’autres".
Certains
pensent que "l’Eglise au Mexique serait condamnée à choisir
entre subir l’infériorité à laquelle elle a été reléguée à
certaines périodes de son histoire, comme lorsque sa voix a été
étouffée et qu’on a cherché à limiter sa présence, ou à
s’aventurer dans les fondamentalismes pour réacquérir des
certitudes provisoires en oubliant d’enraciner dans son cœur la
soif de l’absolu et le fait qu’elle est appelée dans le Christ à
réunir tous et non seulement une partie. Donc ne vous lassez pas de
rappeler à votre peuple combien sont puissantes les racines
anciennes qui ont permis la vivante synthèse chrétienne de
communion humaine, culturelle et spirituelle qui a été forgée
ici". Fidèles au Christ, "soyez capables de
contribuer à l’unité de votre peuple, de favoriser la
réconciliation de ses différences et
l’intégration de ses diversités, de promouvoir la solution de ses
problèmes endogènes... Je vous prie de ne
pas tomber dans la paralysie de donner de vieilles réponses aux
questions nouvelles... Malheur à vous, si vous vous endormez sur vos
lauriers... Vous êtes assis sur les épaules de géants, des
évêques, prêtres, religieux, religieuses et des laïcs, fidèles
jusqu’au bout, qui ont offert leur vie pour que l’Eglise puisse
accomplir sa mission... Je vous invite à vous fatiguer sans
peur dans la mission d’évangéliser et d’approfondir la foi à
travers une catéchèse mystagogique qui sache
faire trésor de la religiosité populaire de vos gens. Notre temps
demande une attention pastorale aux personnes et aux groupes, qui
espèrent pouvoir aller à la rencontre du Christ vivant. Seule une
courageuse conversion pastorale de nos communautés peut retrouver,
générer et nourrir les disciples actuels de Jésus.
Par conséquent, les pasteurs doivent surmonter la tentation de la
distance et du cléricalisme, de la froideur et de l’indifférence,
du triomphalisme et de l’auto-référentialité. La Guadalupe nous
enseigne que Dieu a un visage familier, que la proximité et la
bienveillance peuvent plus que la force... Seule une Eglise
qui sait garder le visage des hommes qui vont
frapper à sa porte est capable de leur parler de Dieu. Si nous ne
déchiffrons pas leurs souffrances, si nous ne nous rendons pas
compte de leurs besoins, nous ne pourrons rien leur offrir. La
richesse que nous avons ne coule que lorsque nous rencontrons la
petitesse de ceux qui mendient".
"Je
vous supplie de protéger...vos prêtres. Ne les laissez pas exposés
à la solitude et à l’abandon, en proie à la mondanité qui
dévore le cœur. Soyez attentifs et apprenez à lire dans leurs
regards pour vous réjouir avec eux lorsqu’ils sentent la joie de
raconter ce qu’ils ont fait et enseigné, et également pour ne pas
reculer lorsqu’ils se sentent un peu abattus et ne peuvent que
pleurer parce qu’ils ont renié le Seigneur, et aussi pour les
soutenir, en communion avec le Christ, quand l’un ou l’autre,
sortira avec Judas dans la nuit. Que jamais, dans ces situations, ne
manque votre paternité à vos prêtres" et "intégrez-les
dans de grandes causes, car le cœur de l’apôtre n’a pas été
fait pour des choses petites... L’Eglise, lorsqu’elle se
réunit dans une majestueuse cathédrale, ne pourra s’empêcher
de se comprendre comme un petite maison dans laquelle ses enfants
peuvent se sentir à l’aise. On se maintient devant Dieu seulement
si on est petit, si on se sent orphelin, si on est mendiant".
"Rien
qu’en regardant la Morenita, on saisit entièrement le Mexique. Par
conséquent, je vous invite à comprendre que la mission que l’Eglise
vous confie demande ce regard qui embrasse la totalité. Et cela ne
peut se réaliser de manière isolée, mais seulement en communion.
La Gudalupana est ceinte d’une cordon qui annonce sa fécondité.
C’est la Vierge qui a déjà dans son sein le Fils attendu par les
hommes. C’est la Mère qui a déjà conçu l’humanité du nouveau
monde naissant. C’est l’Epouse qui préfigure la maternité
féconde de l’Eglise du Christ. Vous avez la mission de ceindre
l’entière nation mexicaine de la fécondité de Dieu. Aucune
partie de ce cordon ne peut être méprisée. L’épiscopat mexicain
a accompli de remarquables progrès en ces années conciliaires"
et les travaux pastoraux partagés "ont été fructueux dans les
domaines essentiels de la mission ecclésiale tels que la famille,
les vocations, la présence sociale". Ceci dit, "je vous
demande de ne pas vous laisser décourager par les difficultés et de
ne ménager aucun effort possible pour promouvoir, entre vous et dans
vos diocèse, le zèle missionnaire, surtout en direction des régions
qui ont le plus besoin de l’unique corps de l’Eglise mexicaine.
Redécouvrir que l’Eglise est mission est fondamental pour son
avenir, car seul l’enthousiasme, l’émerveillement convaincu des
évangélisateurs a la force pour entraîner. Je vous demande, par
conséquent, de prendre spécialement soin de la formation et de la
préparation des laïcs, en surmontant toute forme de cléricalisme
et en les impliquant activement dans la mission de l’Eglise,
surtout dans la tâche de rendre présent, par le témoignage de leur
propre vie, l’évangile du Christ dans le monde. Un témoignage
unificateur de la synthèse chrétienne et une vision partagée de
l’identité ainsi que du destin de vos gens aideraient beaucoup le
peuple mexicain. Dans ce sens, il serait très important que
l’Université pontificale du Mexique soit toujours davantage au
cœur des efforts de l’Eglise pour assurer ce regard d’universalité
sans laquelle la raison, réduite à des unités partielles, renonce
à sa plus haute aspiration de recherche de la vérité... Dans le
Christ glorifié, que les mexicains aiment honorer comme roi, allumez
ensemble la lumière, soyez comblés de sa présence qui ne s’épuise
pas... Il vous revient de semer le Christ dans cette terre, de
maintenir allumée son humble lumière qui éclaire sans aveugler,
d’assurer que la soif du peuple soit étanchée par ses eaux,
d’étendre les voiles pour que le souffle de l’Esprit les déploie
et que la barque de l’Eglise au Mexique ne fasse pas naufrage...
Permettez-moi un dernier mot pour exprimer l’appréciation du Pape
pour tout ce que vous faites afin d’affronter le défi de notre
époque représentée par les migrations. Ce sont des millions
d’enfants de l’Eglise qui vivent aujourd’hui dans la diaspora
ou en transit, se déplaçant vers le Nord à la recherche de
nouvelles opportunités. Beaucoup d’entre eux laissent derrière
eux leurs propres racines pour aller à l’aventure, même dans la
clandestinité qui implique tout genre de risques, en quête du feu
vert qu’ils considèrent comme leur espérance... Puissent vos
cœurs être capables de suivre ces personnes et de les rejoindre
au-delà des frontières. Renforcez la communion avec vos frères de
l’épiscopat des Etats-Unis d’Amérique pour que la présence
maternelle de l’Eglise maintienne vivantes les racines de leur foi,
les raisons de leurs espérances et la force de leur charité...
L’empressement de vos diocèse à passer un peu de baume sur les
pieds meurtris de ceux qui traversent vos territoires et à dépenser
pour eux l’argent difficilement recueilli ne sera pas vain... Et
puis le Pape est sûr que le Mexique et son Eglise arriveront à
temps au rendez-vous avec eux-mêmes, avec l’histoire, avec Dieu.
Peut-être une pierre en chemin retardera-t-elle la marche, et la
fatigue du voyage exigera-t-elle un arrêt, mais ce ne sera jamais
suffisant pour faire manquer le but. Car, peut-il arriver tard celui
qui a une mère qui l’attend? Celui qui peut sentir sans cesse
résonner dans son propre cœur ne suis-je pas ici, moi qui suis ta
Mère?".
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