Cité
du Vatican, 18 février 2016 (VIS). Hier à 10 h locales, le Pape est
arrivé à Ciudad Juárez, la dernière étape de son périple
mexicain. Située sur la frontière des Etats-Unis, cette ville fait
face à El Paso (Texas), formant avec elle une mégalopole de deux
millions d'habitants. Grand centre industriel et majeur point de
passage frontalier, Ciudad Juárez est la ville la plus violente au
monde à cause de la présence de la criminalité dominant la
fabrication et le trafic de drogue destinée aux Etats-Unis. Les
bandes armées sont largement composées de mexicains expulsés et
depuis quatre ans Ciudad Juárez est le terrain d'une guerre
sanglante, qui a poussé près de 20% de la population à quitter la
ville. A peine arrivé, le Saint-Père s'est rendu au grand centre de
rééducation de 3.000 détenus, où opèrent notamment des prêtres
spécialisés en pastorale carcérale. Il s'est d'abord rendu dans la
chapelle pour parler aux personnels et leur remettre un crucifix
artistique en verre, improvisant un petit discours pour la fragilité
humaine du Christ sur la croix. Passé dans la grande cour du
pénitencier, en présence de 700 détenus et de leurs familles, il a
prononcé le discours suivant:
"Je
suis sur le point de conclure ma visite au Mexique et je ne voulais
pas m’en aller sans venir vous saluer, sans célébrer le Jubilé
de la miséricorde avec vous...qui m'avez manifesté beaucoup
d’espérance et d’aspirations, mais aussi beaucoup de souffrance,
de crainte et d’interrogations. Lors de mon voyage en Afrique, j’ai
pu ouvrir à Bangui la première porte de la miséricorde pour le
monde entier. Aujourd’hui, uni à vous et avec vous, je veux
réaffirmer une fois de plus la confiance à laquelle Jésus nous
invite: La miséricorde qui embrasse tout le monde, et jusqu’aux
confins de la terre. Il n’y a pas d’endroit où sa miséricorde
ne puisse arriver, il n’y a pas de milieu ni de gens qu’elle ne
puisse toucher. Célébrer le Jubilé de la miséricorde avec vous,
c’est rappeler le chemin que nous devons emprunter pour rompre les
cercles de la violence et de la délinquance. Nous avons déjà perdu
plusieurs décennies, pensant et croyant que tout se résout en
isolant, en écartant, en emprisonnant, en nous débarrassant des
problèmes, en croyant que ces mesures solutionnent vraiment les
problèmes. Nous avons oublié de nous concentrer sur ce qui doit
être réellement notre préoccupation, la vie des personnes, celle
de leurs familles et de qui souffre... La miséricorde divine nous
rappelle que les prisons sont un symptôme du genre de société que
nous formons, elles sont un symptôme, dans de nombreux cas, des
silences et des omissions qui ont provoqué une culture du rejet.
Elles sont un symptôme d’une culture qui a cessé de miser sur la
vie, d’une société qui a abandonné progressivement ses enfants.
La miséricorde nous rappelle que la réinsertion ne commence pas ici
dans cette enceinte, mais qu’elle commence avant, elle commence
dehors, dans les rues de la ville. La réinsertion ou la
réhabilitation commence par la création d’un système que nous
pourrions qualifier de santé sociale, c'est à dire, d’une société
qui cherche non pas à rendre malade en polluant les relations dans
le quartier, dans les écoles..., dans les maisons, dans l’ensemble
de la société ; mais un système de santé sociale qui permet de
générer une culture efficace et qui cherche à prévenir ces
situations, ces chemins qui finissent par abîmer et détériorer le
tissu social. Il semblerait parfois que les prisons se proposent de
mettre les personnes dans l’incapacité de continuer à commettre
des délits, plus que de promouvoir les processus de réhabilitation
qui permettent de répondre aux problèmes sociaux, psychologiques et
familiaux ayant conduit une personne à une attitude déterminée. Le
problème de la sécurité ne se résout pas par le seul
emprisonnement, mais il est un appel à intervenir pour faire face
aux causes structurelles et culturelles de l’insécurité qui
touchent tout le tissu social".
"Le
soucis qu'a Jésus de répondre aux affamés et aux assoiffés, à
ceux qui n’ont pas de toit et aux prisonniers était pour exprimer
la miséricorde du Père. Cela devient un impératif moral pour toute
société qui désire avoir les conditions nécessaires pour une
meilleure cohabitation. Dans la capacité à construire une société
qui inclut ses pauvres, ses malades ou ses prisonniers, réside la
possibilité que ceux-ci puissent guérir de leurs blessures et être
les artisans d’une bonne cohabitation. La réinsertion sociale
commence par l’insertion de tous nos enfants dans les écoles et
par un travail digne à leurs familles, par la création d’espaces
publiques de loisirs et de divertissement, par l’habilitation des
instances de participation citoyenne, des services sanitaires, par
l’accès aux services de base, pour n’énumérer que quelques
mesures. Célébrer le Jubilé de la miséricorde avec vous c’est
apprendre à ne pas rester prisonnier du passé, d’hier. C’est
apprendre à ouvrir la porte de l’avenir, c’est croire que les
choses peuvent être différentes. Célébrer le Jubilé de la
miséricorde avec vous, c’est vous inviter à relever la tête et à
travailler pour gagner cet espace de liberté désiré. On ne peut
revenir en arrière. Nous savons que ce qui a été fait. C’est
pourquoi j’ai voulu célébrer avec vous le Jubilé de la
miséricorde, puisque cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de
possibilité d’écrire une nouvelle histoire en avançant. Vous
expérimentez la douleur de la chute, vous sentez le remords à cause
de vos actes et je sais que, dans beaucoup de cas, au sein des
grandes limitations, que vous cherchez à refaire votre vie dans la
solitude. Vous avez connu la force de la douleur et du péché,
n’oubliez pas que vous avez à votre portée la force de la
résurrection, la force de la miséricorde divine qui renouvelle
toute chose. Maintenant, vous pouvez affronter la partie plus dure,
la plus difficile, mais qui, peut être, sera celle qui portera plus
de fruit: Luttez ici, à l’intérieur, pour inverser les situations
qui causent le plus d’exclusion. Parlez avec les vôtres, tirez
profit de vos expériences, aidez à briser le cercle de la violence
et de l’exclusion. Celui qui a affronté la douleur jusqu’au plus
haut point et dont nous pourrions dire il a vécu l’enfer peut
devenir prophète dans la société. Travaillez pour que cette
société qui utilise et jette ne continue pas à faire des
victimes". Félicitant à nouveau le personnel du Centre et
saluant "l’effort des aumôniers, les personnes consacrées et
les laïcs qui se dévouent pour maintenir vivante l’espérance de
l’Evangile de la miséricorde dans la prison", le Pape a
demander de prier en silence: "Que chacun demande à Dieu, dans
l’intimité du cœur, de nous aider à croire en sa miséricorde.
Et je vous demande de ne pas oublier de prier pour moi".
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