Cité
du Vatican, 30 novembre 2014 (VIS). La dernière journée du voyage
du Saint-Père en Turquie a débuté tôt par sa rencontre près la
représentation pontificale d'Istanbul avec le Grand Rabbin de
Turquie Isaak Halerva, à la tête d'une communauté de 25.000
fidèles. Lors de l'Inquisition espagnole de la fin du XV siècle et
jusqu'au début du XIX un très grand nombre de juifs trouvèrent
refuge dans l'empire ottoman. Mais cette communauté s'est
drastiquement réduite au profit de l'émigration vers les Amériques
et vers Israël au XIX et XX siècle. Benoît XVI avait rencontré le
Grand Rabbin en 2006.
Après
quoi, le Pape est retourné au Phanar pour participer à la divine
liturgie célébrée par le Patriarche en la solennité de saint
André apôtre. A l'issue de la cérémonie, il a prononcé le
discours suivant: "Souvent, comme Archevêque de Buenos Aires,
j’ai participé à la divine liturgie des communautés orthodoxes
locales. Mais, me trouver aujourd’hui en cette église patriarcale
St.Georges...est vraiment une grâce particulière que le Seigneur me
donne. Nous rencontrer, échanger l’accolade de paix, prier l’un
pour l’autre sont des dimensions essentielles de ce chemin vers le
rétablissement de la pleine communion à laquelle nous tendons. Tout
ceci précède et accompagne constamment cette autre dimension
essentielle de ce chemin qu’est le dialogue théologique. Un
authentique dialogue est toujours une rencontre entre des personnes
avec un nom, un visage, une histoire, et pas seulement une
confrontation d’idées. Cela vaut surtout pour nous chrétiens,
parce que, pour nous, la vérité est la personne de Jésus-Christ.
L’exemple de saint André, qui a accueilli l’invitation du Maître
à venir et voir, nous montre avec clarté que la vie chrétienne est
une expérience personnelle, une rencontre transformante avec celui
qui nous aime et veut nous sauver. De même, l’annonce chrétienne
se répand grâce à des personnes qui, amoureuses du Christ, ne
peuvent pas ne pas transmettre la joie d’être aimées et sauvées.
Encore une fois, l’exemple de l’apôtre André est éclairant.
Après avoir suivi Jésus là où il habitait et s’être entretenu
avec lui, il trouva d’abord Simon son frère et lui dit: Nous avons
trouvé le Messie! Et il l’amena à Jésus. Il est clair, par
conséquent, que même le dialogue entre chrétiens ne peut se
soustraire à cette logique de la rencontre personnelle.
Ce
n’est donc pas un hasard si le chemin de réconciliation et de paix
entre catholiques et orthodoxes a été, en quelque sorte, inauguré
par une rencontre, par une accolade entre nos vénérés
prédécesseurs, le Patriarche Athénagoras et le Pape Paul VI, il y
a cinquante ans, à Jérusalem, événement que votre Sainteté et
moi-même avons voulu récemment commémorer en nous rencontrant dans
la ville où le Seigneur est mort et ressuscité. Par une heureuse
coïncidence, ma visite a lieu quelques jours après la célébration
du cinquantième anniversaire de la promulgation du décret du
Concile Vatican II sur la recherche de l’unité entre tous les
chrétiens, Unitatis Redintegratio. Il s’agit d’un document
fondamental par lequel a été ouverte une voie nouvelle pour la
rencontre entre les catholiques et les frères d’autres Eglises et
Communautés ecclésiales. Par ce décret, l’Eglise catholique
reconnaît que les Eglises orthodoxes ont de vrais sacrements,
principalement, en vertu de la succession apostolique: Ce sont le
Sacerdoce et l’Eucharistie... En conséquence, on affirme que, pour
garder fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne et pour
conduire à terme la réconciliation des chrétiens d’Orient et
d’Occident, il est de la plus grande importance de conserver et de
soutenir le très riche patrimoine des Eglises d’Orient, non
seulement en ce qui concerne les traditions liturgiques et
spirituelles, mais aussi les disciplines canoniques, entérinées par
les saints pères et par les conciles, qui règlent la vie de ces
Eglises. J’estime important de rappeler le respect de ce principe
comme condition essentielle et réciproque au rétablissement de la
pleine communion, qui ne signifie ni soumission l’un à l’autre,
ni absorption, mais plutôt accueil de tous les dons que Dieu a
donnés à chacun pour manifester au monde entier le grand mystère
du salut réalisé par le Christ, par l’Esprit. Je veux assurer à
chacun de vous que, pour arriver au but désiré de la pleine unité,
l’Eglise catholique n’entend pas imposer une quelconque exigence,
sinon celle de la profession de foi commune, et que nous sommes prêts
à chercher ensemble, à la lumière de l’enseignement de
l’Ecriture et de l’expérience du premier millénaire, les
modalités par lesquelles garantir la nécessaire unité de l’Eglise
dans les circonstances actuelles. L’unique chose que désire
l’église catholique, et que je recherche comme Evêque de Rome, de
l’Eglise qui préside dans la charité, c’est la communion avec
les Eglises orthodoxes. Cette communion sera toujours le fruit de
l’amour qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui
nous a été donné, amour fraternel qui donne expression au lien
spirituel et transcendant qui nous unit comme disciples du Seigneur.
Dans
le monde d’aujourd’hui se lèvent avec force des voix que nous ne
pouvons pas ne pas entendre, et qui demandent à nos Eglises de vivre
jusqu’au bout le fait d’être disciples du Seigneur Jésus-Christ.
La première de ces voix est celle des pauvres. Dans le monde, il y a
trop de femmes et trop d’hommes qui souffrent de grave
malnutrition, du chômage croissant, du fort pourcentage de jeunes
sans travail et de l’augmentation de l’exclusion sociale, qui
peut conduire à des activités criminelles et même au recrutement
des terroristes. Nous ne pouvons pas rester indifférents devant les
voix de ces frères et sœurs. Ils nous demandent, non seulement de
leur donner une aide matérielle, nécessaire en de nombreuses
circonstances, mais surtout que nous les aidions à défendre leur
dignité de personne humaine, de sorte qu’ils puissent retrouver
les énergies spirituelles pour se relever et être de nouveau
protagonistes de leur histoire. Il nous demandent aussi de lutter, à
la lumière de l’Evangile, contre les causes structurelles de la
pauvreté, l’inégalité, le manque d’un travail digne, d’une
terre et d’une maison, la négation des droits sociaux et des
droits du travail. Comme chrétiens nous sommes appelés à vaincre
ensemble cette mondialisation de l’indifférence qui aujourd’hui
semble avoir la suprématie, et à construire une nouvelle
civilisation de l’amour et de la solidarité.
Une
seconde voix qui crie fort est celle des victimes des conflits en
tant de parties du monde. Cette voix nous l’entendons très bien
résonner d’ici, parce que des nations voisines sont marquées par
une guerre atroce et inhumaine. Je pense avec une grande douleur à
toutes les victimes de l'attentat insensé qui vient de frapper à
mort des musulmans nigérians priant en la mosquée de Kano. Troubler
la paix d’un peuple, commettre ou consentir toute espèce de
violence, spécialement sur les personnes faibles et sans défense,
est un péché très grave contre Dieu, parce que c’est ne pas
respecter l’image de Dieu qui est dans l’homme. La voix des
victimes des conflits nous pousse à avancer rapidement sur le chemin
de la réconciliation et de la communion entre catholiques et
orthodoxes. D’ailleurs, comment pouvons-nous annoncer de manière
crédible le message de paix qui vient du Christ, si, entre nous,
continuent d’exister des rivalités et des querelles?
Une
troisième voix qui nous interpelle est celle des jeunes.
Aujourd’hui, malheureusement, beaucoup de jeunes vivent sans
espérance, vaincus par le découragement et la résignation.
Beaucoup de jeunes, de plus, influencés par la culture dominante,
cherchent la joie uniquement dans la possession de biens matériels
et dans la satisfaction des émotions du moment. Les nouvelles
générations ne pourront jamais acquérir la vraie sagesse ni
maintenir vivante leur espérance si nous ne sommes pas capables de
valoriser et de transmettre l’authentique humanisme, qui surgit de
l’Evangile et de l’expérience millénaire de l’Eglise. Ce sont
justement les jeunes orthodoxes, catholiques et protestants qui se
rencontrent dans les rassemblements internationaux organisés par la
communauté de Taizé, qui aujourd’hui nous demandent de faire des
pas en avant vers la pleine communion. Et cela non parce qu’ils
ignorent la signification des différences qui nous séparent encore,
mais parce qu’ils savent voir au-delà, ils sont capables de
recueillir l’essentiel qui déjà nous unit en vue de la sainteté.
Cher frère Barthélémy, nous sommes en chemin vers la pleine
communion et déjà nous pouvons vivre des signes éloquents d’une
unité réelle, bien qu’encore partielle. Cela nous conforte et
nous soutient dans la poursuite de ce chemin. Nous sommes sûrs que
le long de cette route nous sommes soutenus par l’intercession
d’André et de son frère Pierre, considérés par la tradition
comme les fondateurs des Eglises de Constantinople et de Rome.
Invoquons de Dieu le grand don de la pleine unité et la capacité de
l’accueillir dans nos vies. Et n’oublions jamais de prier les uns
pour les autres".
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