Cité
du Vatican, 26 janvier 2016 (VIS). Voici le Message du Pape François
pour le prochain Carême (10 février - 20 mars), intitulé "C’est
la miséricorde que je veux, et non des sacrifices. Les œuvres
de miséricorde dans le parcours jubilaire":
"Premièrement,
Marie, icône d’une Eglise qui évangélise parce qu’elle a été
évangélisée. Dans la bulle d’indiction du
Jubilé, j’ai invité à faire en sorte que le Carême de cette
Année Jubilaire soit vécu plus intensément, comme un temps fort
pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Par le
rappel de l’écoute de la Parole de Dieu et l’initiative
intitulée 24 heures pour le Seigneur, j’ai voulu souligner la
primauté de l’écoute priante de la Parole, plus particulièrement
de la parole prophétique. Si la miséricorde de Dieu est une annonce
faite au monde, chaque chrétien est appelé à en faire l’expérience
personnellement. C’est pourquoi, en ce temps de Carême, j’enverrai
les Missionnaires de la Miséricorde afin qu’ils soient pour tous
un signe concret de la proximité et du pardon de Dieu. Parce qu’elle
a accueilli la Bonne Nouvelle annoncée par l’archange Gabriel,
Marie chante prophétiquement dans son Magnificat la miséricorde par
laquelle Dieu l’a choisie. La Vierge de Nazareth, promise comme
épouse à Joseph, devient ainsi l’icône parfaite de l’Eglise
qui évangélise car elle a été et demeure constamment évangélisée
par l’œuvre de l’Esprit Saint qui a fécondé son sein virginal.
Dans la tradition prophétique, et déjà au niveau étymologique, la
miséricorde est étroitement liée aux entrailles maternelles
(rahamim) et à une bonté généreuse, fidèle et compatissante
(hesed) qui s’exerce dans les relations conjugales et parentales.
Ensuite,
l’alliance de Dieu avec les hommes, une histoire de
miséricorde. Le mystère de la miséricorde
divine se dévoile au cours de l’histoire de l’alliance entre
Dieu et son peuple Israël. Dieu, en effet, se montre toujours riche
en miséricorde, prêt à reverser sur lui en toutes circonstances
une tendresse et une compassion viscérales, particulièrement dans
les moments les plus dramatiques, lorsque l’infidélité brise le
lien du pacte et que l’alliance requiert d’être ratifiée de
façon plus stable dans la justice et dans la vérité. Nous nous
trouvons ici face à un véritable drame d’amour où Dieu joue le
rôle du père et du mari trompé, et Israël celui du fils ou de la
fille, et de l’épouse infidèles. Ce sont les images familières,
comme nous le voyons avec Osée, qui expriment jusqu’à quel point
Dieu veut se lier à son peuple. Ce drame d’amour atteint son point
culminant dans le Fils qui s’est fait homme. Dieu répand en lui sa
miséricorde sans limites, au point d’en faire la Miséricorde
incarnée. En tant qu’homme, Jésus de Nazareth est fils d’Israël
dans le plein sens du terme. Il l’est au point d’incarner cette
écoute parfaite de Dieu demandée à tout Juif par le Shemà qui
constitue, aujourd’hui encore, le cœur de l’alliance de Dieu
avec Israël: Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul
Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute
ton âme et de toutes tes forces. Le Fils de Dieu est l’époux qui
met tout en œuvre pour conquérir l’amour de son épouse. Il lui
est lié par son amour inconditionnel qui se manifeste dans les noces
éternelles avec elle. Ceci constitue le cœur vibrant du kérygme
apostolique où la miséricorde divine tient une place centrale et
fondamentale. Il est la beauté de l’amour salvifique de Dieu
manifesté en Jésus-Christ, mort et ressuscité, cette première
annonce que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes
façons, et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la
catéchèse. La miséricorde alors illustre le comportement de Dieu
envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se
repentir, de se convertir et de croire, restaurant vraiment ainsi la
relation avec lui. En Jésus Crucifié, Dieu veut rejoindre l’homme
pécheur jusque dans son éloignement le plus extrême, précisément
là où il s’est égaré et éloigné de lui. Et ceci, il le fait
dans l’espoir de réussir finalement à toucher le cœur endurci de
son épouse.
Venons
en aux œuvres de miséricorde. La
miséricorde de Dieu transforme le cœur de l’homme et lui fait
expérimenter un amour fidèle qui le rend capable d’être, à son
tour, miséricordieux. C’est à chaque fois un miracle que la
miséricorde divine puisse se répandre dans la vie de chacun de
nous, en nous incitant à l’amour du prochain et en suscitant ce
que la tradition de l’Eglise nomme les œuvres de miséricorde
corporelles et spirituelles. Elles nous rappellent que notre foi se
traduit par des actes concrets et quotidiens, destinés à aider
notre prochain corporellement et spirituellement, et sur lesquels
nous serons jugés: Le nourrir, le visiter, le réconforter,
l’éduquer. C’est pourquoi j’ai souhaité que le peuple
chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de
miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de
réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la
pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de
l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de
la miséricorde divine. Dans la personne du pauvre, en effet, la
chair du Christ devient de nouveau visible en tant que corps torturé,
blessé, flagellé, affamé, égaré pour être reconnu par nous,
touché et assisté avec soin. Inouï et scandaleux mystère qui
prolonge dans l’Histoire la souffrance de l’Agneau innocent,
buisson ardent brûlant d’un amour gratuit, et devant lequel nous
ne pouvons, à la suite de Moïse, qu’ôter nos sandales, et ceci
plus encore quand ce pauvre est notre frère ou notre sœur en Christ
qui souffre à cause de sa foi. Face à cet amour, fort comme la
mort, le pauvre le plus misérable est celui qui n’accepte pas de
se reconnaître comme tel. Il croit être riche mais, en réalité,
il est le plus pauvre des pauvres. Et s’il est tel, c’est parce
qu’il est esclave du péché qui le pousse à user de la richesse
et du pouvoir non pas pour servir Dieu et les autres, mais pour
étouffer en lui l’intime conviction de n’être, lui aussi, rien
d’autre qu’un pauvre mendiant. D’autant plus grands sont le
pouvoir et les richesses dont il dispose, d’autant plus grand est
le risque que cet aveuglement devienne mensonger. Il en vient à ne
même plus vouloir voir le pauvre Lazare qui mendie à la porte de sa
maison, figure du Christ qui, dans les pauvres, mendie notre
conversion. Lazare est cette opportunité de nous convertir que Dieu
nous offre et que peut-être nous ne voyons pas. Cet aveuglement est
accompagné d’un délire orgueilleux de toute-puissance, dans
lequel résonne, de manière sinistre, ce démoniaque vous serez
comme des dieux, qui est à la racine de tout péché. Un tel délire
peut également devenir un phénomène social et politique, comme
l’ont montré les totalitarismes du XX siècle, et comme le
montrent actuellement les idéologies de la pensée unique et celles
de la techno-science qui prétendent réduire Dieu à l’insignifiance
et les hommes à des masses qu’on peut manipuler. Ceci, de nos
jours, peut être également illustré par les structures de péché
liées à un modèle erroné de développement fondé sur l’idolâtrie
de l’argent qui rend indifférentes au destin des pauvres les
personnes et les sociétés les plus riches, qui leur ferment les
portes, refusant même de les voir.
Pour
tous, le Carême de cette Année jubilaire est donc un temps
favorable qui permet finalement de sortir de notre aliénation
existentielle grâce à l’écoute de la Parole et aux œuvres de
miséricorde. Si à travers les œuvres corporelles nous touchons la
chair du Christ dans nos frères et nos sœurs qui ont besoin d’être
nourris, vêtus, hébergés, visités, les œuvres spirituelles,
quant à elles, qui ont besoin d'être conseillés, enseignés,
pardonnés, afin de toucher plus directement notre condition de
pécheurs. C’est pourquoi les œuvres corporelles et les œuvres
spirituelles ne doivent jamais être séparées. En effet, c’est
justement en touchant la chair de Jésus Crucifié dans le plus
nécessiteux que le pécheur peut recevoir en don la conscience de ne
se savoir lui-même rien d’autre qu’un pauvre mendiant. Grâce à
cette voie, les hommes au cœur superbe, les puissants et les riches,
dont parle le Magnificat, ont la possibilité de reconnaître qu’ils
sont, eux aussi, aimés de façon imméritée par le Christ Crucifié,
mort et ressuscité également pour eux. Cet amour constitue la seule
réponse à cette soif de bonheur et d’amour infinis que l’homme
croit à tort pouvoir combler au moyen des idoles du savoir, du
pouvoir et de l’avoir. Mais il existe toujours le danger qu’à
cause d’une fermeture toujours plus hermétique à l’égard du
Christ, qui dans la personne du pauvre continue à frapper à la
porte de leur cœur, les hommes au cœur superbe, les riches et les
puissants finissent par se condamner eux-mêmes à sombrer dans cet
abîme éternel de solitude qu’est l’enfer. C’est alors que
résonnent à nouveau, pour eux comme pour nous tous, les paroles
ardentes d’Abraham: Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les
écoutent! Cette écoute agissante nous préparera le mieux à fêter
la victoire définitive sur le péché et sur la mort de l’Epoux
qui est désormais ressuscité, et qui désire purifier sa future
Épouse dans l’attente de son retour.
Donc
ne laissons pas passer en vain ce temps de Carême favorable à la
conversion! Nous le demandons par l’intercession maternelle de la
Vierge Marie, qui, la première, face à la grandeur de la
miséricorde divine dont elle a bénéficié gratuitement, a reconnu
sa propre petitesse en se reconnaissant comme l’humble Servante du
Seigneur".